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6.2. Politique

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6.2. Politique - Page 3 Empty La Politique, Livre III, Chapitre deuxième

Message par Kaioh Jeu 28 Jan 2010 - 12:06

Livre III - Chapitre deuxième



Suite : la vertu du citoyen ne se confond pas tout à fait avec celle de l'Homme privé; le citoyen a toujours rapport à l'État. La vertu de l'individu est absolue et sans rapport extérieur qui la limite. Ces deux vertus ne se confondent même pas dans la République parfaite; elles ne sont réunies que dans le magistrat digne du commandement; qualités fort diverses qu'exigent le commandement et l'obéissance, bien que le bon citoyen doive savoir également obéir et commander : la vertu spéciale du commandement, c'est la prudence.

Une question qui fait suite à celle-ci, c'est de savoir s'il existe identité entre la vertu de l'individu privé et la vertu du citoyen; ou bien, si elles diffèrent l'une de l'autre. Pour procéder régulièrement à cette recherche, il faut d'abord nous faire une idée de la vertu du citoyen.
Le citoyen, comme le matelot, est membre d'une association. À bord du navire, quoique chacun ait un emploi différent, que l'un soit rameur, l'autre pilote, celui-ci second, celui-là chargé de telle autre fonction, il est clair que, malgré les appellations et les fonctions qui constituent à proprement parler une vertu spéciale pour chacun d'eux, tous concourent néanmoins à un but commun, c'est-à-dire au salut de l'équipage, que tous assurent pour leur part et que chacun d'entre eux recherche également.

Les membres de la cité ressemblent exactement aux matelots : malgré la différence de leurs emplois, le salut de l'association est leur oeuvre commune; et l'association ici, c'est l'État. La vertu du citoyen se rapporte donc exclusivement à l'État. Mais comme l'État revêt bien des formes diverses, il est clair que la vertu du citoyen dans sa perfection ne peut être une; la vertu qui fait l'Homme de bien, au contraire est une et absolue. De là, cette conclusion évidente, que la vertu du citoyen peut être une tout autre vertu que celle de l'Homme privé.

On peut encore traiter cette question d'un point de vue différent, qui tient à la recherche de la République parfaite. S'il est impossible en effet que l'État ne compte parmi ses membres que des Hommes de bien; et chacun cependant doit y remplir scrupuleusement les fonctions qui lui sont confiées, ce qui suppose toujours quelque vertu; comme il n'est pas moins impossible que tous les citoyens agissent tous identiquement, il faut dès lors avouer qu'il ne peut exister d'identité entre la vertu politique et la vertu privée. Dans la République parfaite, la vertu civique doit appartenir à tous, puisqu'elle est la condition indispensable de la perfection de la cité; mais il n'est pas possible que tous y possèdent la vertu de l'Homme privé, à moins d'admettre que, dans cette cité modèle, tous les citoyens doivent nécessairement être gens de bien.

Bien plus : l'État se forme d'éléments dissemblables; et de même que l'être vivant se compose essentiellement d'une âme et d'un corps; l'âme, de la raison et de l'instinct; la famille, du mari et de la femme; la propriété, du maître et de l'esclave; de même tous ces éléments-là se trouvent dans l'État, accompagnés encore de bien d'autres non moins hétérogènes; ce qui empêche nécessairement qu'il n'y ait unité de vertu pour tous les citoyens, de même qu'il ne peut y avoir unité d'emploi dans les choeurs, où l'un est coryphée et l'autre figurant.

Il est donc certain que la vertu du citoyen et la vertu prise en général, ne sont point absolument identiques.
Mais qui donc pourra réunir cette double vertu du bon citoyen et de l'honnête Homme? Je l'ai dit : c'est le magistrat digne du commandement qui l'exerce et qui est à la fois vertueux et habile; car l'habileté n'est pas moins nécessaire que la vertu à l'homme d'État. Aussi a-t-on dit qu'il fallait donner aux hommes destinés au pouvoir une éducation spéciale; et de fait, nous voyons les enfants des Rois apprendre tout particulièrement l'équitation et la politique. Euripide lui-même semble croire qu'on peut apprendre à commander, quand il dit :
"Point de ces vains talents à l'État inutiles".

Si donc la vertu du bon magistrat est identique à celle de l'Homme de bien, et si l'on reste citoyen même en obéissant à un supérieur, la vertu du citoyen en général ne peut être dès lors absolument identique à celle de l'Homme honnête. Ce sera seulement la vertu d'un certain citoyen, puisque la vertu des citoyens n'est point identique à celle du magistrat qui les gouverne. C'était là sans doute la pensée de Jason, quand il disait : «qu'il mourrait de misère s'il cessait de régner, n'ayant point appris à vivre en simple particulier».

On n'en estime pas moins fort haut le talent de savoir également obéir et commander; et c'est dans cette double perfection de commandement et d'obéissance, qu'on place ordinairement la suprême vertu du citoyen. Mais si le commandement doit être le partage de l'Homme de bien et que savoir obéir et savoir commander soient les talents indispensables du citoyen, on ne peut certainement pas dire qu'ils soient dignes de louanges absolument égales. On doit accorder ces deux points : d'abord, que l'être qui obéit et celui qui commande ne doivent pas apprendre tous deux les mêmes choses; et en second lieu, que le citoyen doit posséder l'un et l'autre talent de savoir tantôt jouir de l'autorité et tantôt se résigner à l'obéissance. Voici comment on prouverait ces deux assertions.

Il y a un pouvoir du maître; et ainsi que nous l'avons reconnu, il n'est relatif qu'aux besoins indispensables de la vie; il n'exige pas que l'être qui commande soit capable de travailler lui-même; il exige bien plutôt qu'il sache employer ceux qui lui obéissent. Le reste appartient à l'esclave; et j'entends par le reste, la force nécessaire pour accomplir tout le service domestique. Les espèces d'esclaves sont aussi nombreuses que le sont leurs métiers divers; on pourrait bien ranger encore parmi eux les manoeuvres, qui comme leur nom l'indique, vivent du travail de leurs mains. Parmi les manoeuvres, on doit comprendre aussi tous les ouvriers des professions mécaniques; et voilà pourquoi, dans quelques États, on a exclu les ouvriers des fonctions publiques, auxquelles ils n'ont pu atteindre qu'au milieu des excès de la démagogie.

Mais ni l'Homme vertueux, ni l'homme d'État, ni le bon citoyen n'ont besoin, si ce n'est quand ils peuvent y trouver leur utilité personnelle, de savoir tous ces travaux-là, comme les savent les Hommes destinés à l'obéissance. Dans l'État, il ne s'agit plus ni de maître ni d'esclave : il n'y a qu'une autorité qui s'exerce à l'égard d'êtres libres et égaux par la naissance. C'est donc là l'autorité politique à laquelle le futur magistrat doit se former en obéissant d'abord lui-même, de même qu'on apprend à commander un corps de cavalerie, en étant simple cavalier; à être général, en exécutant les ordres d'un général; à conduire une phalange, un bataillon, en servant comme soldat dans l'une et dans l'autre. C'est donc dans ce sens qu'il est juste de soutenir que la seule et véritable école du commandement, c'est l'obéissance.

Il n'en est pas moins certain que le mérite de l'autorité et celui de la soumission sont fort divers, bien que le bon citoyen doive réunir en lui la science et la force de l'obéissance et du commandement, et que sa vertu consiste précisément à connaître ces deux faces opposées du pouvoir qui s'applique aux êtres libres. Elles doivent être connues aussi de l'Homme de bien; et si la sagesse et l'équité du commandement sont tout autres que la sagesse et l'équité de l'obéissance, puisque le citoyen reste libre même lorsqu'il obéit, les vertus du citoyen, et par exemple, sa sagesse, ne sauraient être constamment les mêmes; elles doivent varier d'espèce selon qu'il obéit ou qu'il commande. C'est ainsi que le courage et la sagesse diffèrent complètement pour la femme et pour l'homme. Un homme paraîtrait lâche, s'il n'était brave que comme l'est une femme brave; une femme semblerait bavarde, si elle n'était réservée qu'autant que doit l'être l'homme qui sait se conduire. C'est ainsi que dans la famille les fonctions de l'homme et celles de la femme sont fort opposées, le devoir de l'un étant d'acquérir, et celui de l'autre de conserver.

La seule vertu spéciale du commandement, c'est la prudence; quant à toutes les autres, elles sont nécessairement l'apanage commun de ceux qui obéissent et de ceux qui commandent. La prudence n'est point une vertu de sujet; la vertu propre du sujet, c'est une juste confiance en son chef; le citoyen qui obéit est comme le fabricant de flûtes; le citoyen qui commande est comme l'artiste qui doit se servir de l'instrument.

Cette discussion a donc eu pour objet de faire voir jusqu'à quel point la vertu politique et la vertu privée sont identiques ou différentes, en quoi elles se confondent et en quoi elles s'éloignent l'une de l'autre.





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Message par Kaioh Jeu 28 Jan 2010 - 12:12

Livre III - Chapitre troisième



Suite et fin de la discussion sur le citoyen; les ouvriers ne peuvent être citoyens dans un État bien constitué. Exceptions à ce principe; position des ouvriers dans les aristocraties et les oligarchies; nécessités auxquelles les États doivent parfois se soumettre. Définition dernière du citoyen.

Il reste encore une question à résoudre à l'égard du citoyen. N'est-on réellement citoyen qu'autant que l'on peut entrer en participation du pouvoir, ou ne doit-on pas mettre aussi les artisans au rang des citoyens? Si l'on donne ce titre même à des individus exclus du pouvoir public, dès lors le citoyen n'a plus en général la vertu et le caractère que nous lui avons assignés, puisque de l'artisan on fait un citoyen. Mais si l'on refuse ce titre aux artisans, quelle sera leur place dans la cité? Ils n'appartiennent certainement ni à la classe des étrangers, ni à celle des domiciliés. On peut dire, il est vrai, qu'il n'y a rien là de fort singulier, puisque ni les esclaves ni les affranchis n'appartiennent davantage aux classes dont nous venons de parler.

Mais il est certain qu'on ne doit pas élever au rang de citoyens tous les individus dont l'État a cependant nécessairement besoin. Ainsi, les enfants ne sont pas citoyens comme les hommes : ceux-ci le sont d'une manière absolue; ceux-là le sont en espérance, citoyens sans doute, mais citoyens imparfaits. Jadis, dans quelques États, tous les ouvriers étaient ou des esclaves ou des étrangers; et dans la plupart, il en est encore de même aujourd'hui. Mais la Constitution parfaite n'admettra jamais l'artisan parmi les citoyens. Si de l'artisan aussi l'on veut faire un citoyen, dès lors la vertu du citoyen, telle que nous l'avons définie, doit s'entendre, non pas de tous les hommes de la cité, non pas même de tous ceux qui ne sont que libres, elle doit s'entendre de ceux-là, seulement qui n'ont point à travailler nécessairement pour vivre.

Travailler aux choses indispensables de la vie pour la personne d'un individu, c'est être esclave; travailler pour le public, c'est être ouvrier et mercenaire. Il suffit de donner à ces faits la moindre attention pour que la question soit parfaitement claire, dès qu'on la pose ainsi. En effet, les Constitutions étant diverses, les espèces de citoyens le seront nécessairement autant qu'elles; et ceci est vrai surtout du citoyen considéré en tant que sujet. Par conséquent, dans telle Constitution, l'ouvrier et le mercenaire seront de toute nécessité des citoyens. Ailleurs, ils ne sauraient l'être en aucune façon, par exemple dans l'État que nous appelons aristocratique, où l'honneur des fonctions publiques se répartit à la vertu et à la considération; car l'apprentissage de la vertu est incompatible avec une vie d'artisan et de manoeuvre.

Dans les oligarchies, le mercenaire ne peut être citoyen, parce que l'accès des magistratures n'est ouvert qu'aux cens élevés; mais l'artisan peut l'être, puisque la plupart des artisans parviennent à la fortune. À Thèbes, la loi écartait de toute fonction celui qui n'avait pas cessé le commerce depuis plus de dix ans. Presque tous les gouvernements ont appelé des étrangers au rang de citoyens; et dans quelques démocraties, le droit politique peut s'acquérir du chef de la mère.

C'est ainsi qu'on a fait encore assez généralement des lois pour l'admission des bâtards; mais c'est la pénurie seule de véritables citoyens qui en fait faire de cette sorte, et toutes ces lois n'ont d'autre source que la disette d'Hommes. Quand, au contraire, la population abonde, on élimine d'abord les citoyens nés d'un père ou d'une mère esclaves, puis ceux qui sont citoyens seulement du côté des femmes, et enfin l'on n'admet que ceux dont le père et la mère étaient citoyens.

Il y a donc évidemment des espèces diverses de citoyens, et celui-là seul l'est pleinement qui a sa part des pouvoirs publics. Si Homère fait dire à son Achille :
"... Moi, traité comme un vil étranger!"
C'est qu'à ses yeux on est un étranger dans la cité, quand on n'y participe pas aux fonctions publiques; et partout où l'on a soin de dissimuler ces différences politiques, c'est uniquement dans la vue de donner le change à ceux qui n'ont que le domicile dans la cité.

Ainsi toute la discussion qui précède a montré comment la vertu de l'honnête Homme et la vertu du bon citoyen sont identiques, et comment elles diffèrent; nous avons fait voir que dans tel État le citoyen et l'Homme vertueux ne font qu'un, que dans tel autre ils se séparent; et enfin que tout le monde n'est pas citoyen, mais que ce titre appartient seulement à l'Homme politique qui est maître ou qui peut être maître, soit personnellement, soit collectivement, de s'occuper des intérêts communs.





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6.2. Politique - Page 3 Empty La Politique, Livre III, Chapitre quatrième

Message par Kaioh Jeu 28 Jan 2010 - 12:19

Livre III - Chapitre quatrième



Division des gouvernements et des Constitutions. Idée générale et but de l'État; amour instinctif de la vie et sociabilité dans l'Homme; le pouvoir, dans la communauté politique doit toujours avoir en vue le bien des administrés. Ce principe sert à diviser les gouvernements en gouvernements d'intérêt général : ce sont les bons; et en gouvernements d'intérêts particuliers : ce sont les gouvernements corrompus, dégénération des autres.

Ces points une fois fixés, la première question qui les suit, c'est celle-ci : existe-t-il une ou plusieurs Constitutions politiques? Et s'il y en a plusieurs, quels en sont la nature, le nombre et les différences? La Constitution est ce qui détermine dans l'État l'organisation régulière de toutes les magistratures, mais surtout de la magistrature souveraine; et le souverain de la cité, c'est en tous lieux le gouvernement. Le gouvernement est la Constitution même. Je m'explique : par exemple, dans les démocraties, c'est le peuple qui est souverain; dans les oligarchies, au contraire, c'est la minorité composée des riches; aussi dit-on que les Constitutions de la démocratie et de l'oligarchie sont essentiellement différentes, et nous appliquerons les mêmes distinctions à toutes les autres.

Il faut d'abord rappeler ici quel est le but assigné par nous à l'État, et quelles sont les diversités que nous avons reconnues dans les pouvoirs, tant ceux qui s'appliquent à l'individu que ceux qui s'appliquent à la vie commune. Au début de ce traité, nous avons dit, en parlant de l'administration domestique et de l'autorité du maître, que l'Homme est par sa nature un être sociable; et j'entends par là que, même sans aucun besoin d'appui mutuel, les Hommes désirent invinciblement la vie sociale.

Ceci n'empêche pas que chacun d'eux n'y soit aussi poussé par son utilité particulière et par le désir de trouver la part individuelle de bonheur qui lui doit revenir. C'est là certainement le but de tous en masse et de chacun en particulier; mais les Hommes se réunissent aussi, ne fût-ce que pour le bonheur seul de vivre; et cet amour de la vie est sans doute une des perfections de l'humanité.
On s'attache à l'association politique, même quand on n'y trouve rien de plus que la vie, à moins que la somme des maux qu'elle cause ne vienne véritablement la rendre intolérable. Voyez en effet quel degré de misère supportent la plupart des Hommes par le simple amour de la vie; la nature semble y avoir mis pour eux une jouissance et une douceur inexprimables.

Il est, du reste, bien facile de distinguer les divers genres de pouvoir dont nous voulons parler ici; nous en traitons à plusieurs reprises dans nos ouvrages exotériques. Bien que l'intérêt du maître et l'intérêt de son esclave s'identifient, quand c'est le vœu réel de la nature qui assigne au maître et à l'esclave le rang qu'ils occupent tous deux, le pouvoir du maître a cependant pour objet direct l'avantage du maître, et pour objet accidentel, l'avantage de l'esclave, parce que, l'esclave une fois détruit, le pouvoir du maître disparaît avec lui.

Le pouvoir du père sur les enfants, sur la femme et la famille entière, pouvoir que nous avons nommé domestique, a pour but l'intérêt des administrés, ou tout au plus un intérêt commun à eux et à celui qui les régit. Quoique ce pouvoir en lui-même soit fait surtout pour les administrés, il peut, comme dans tant d'autres arts, la médecine, la gymnastique, tourner secondairement à l'avantage de celui qui gouverne. Ainsi, le gymnaste peut fort bien se mêler aux jeunes gens qu'il exerce, comme, à bord, le pilote est toujours un des passagers. Le but du gymnaste, comme celui du pilote, c'est le bien de ceux qu'ils dirigent; si l'un ou l'autre viennent se mêler à leurs subordonnés, ils ne prennent leur part de l'avantage commun qu'accidentellement, l'un comme simple matelot, l'autre comme élève, malgré sa qualité de professeur.

Dans les pouvoirs politiques, lorsque la parfaite égalité des citoyens, tous semblables, en fait la base, chacun a droit d'exercer l'autorité à son tour. D'abord, chose toute naturelle, tous regardent cette alternative comme parfaitement légitime, et ils accordent à un autre le droit de décider par lui-même de leurs intérêts, comme ils ont eux-mêmes antérieurement décidé des siens; mais plus tard, les avantages que procurent le pouvoir et l'administration des intérêts généraux, inspirent à tous les Hommes le désir de se perpétuer en charge; et si la continuité du commandement pouvait seule infailliblement guérir une maladie dont ils seraient atteints, ils ne seraient certainement pas plus âpres à retenir l'autorité, une fois qu'ils en jouissent.

Donc évidemment, toutes les Constitutions qui ont en vue l'intérêt général sont pures, parce qu'elles pratiquent rigoureusement la justice. Toutes celles qui n'ont en vue que l'intérêt personnel des gouvernants, viciées dans leurs bases, ne sont que la corruption des bonnes Constitutions; elles tiennent de fort près au pouvoir du maître sur l'esclave, tandis qu'au contraire la cité n'est qu'une association d'Hommes libres.

Après les principes que nous venons de poser, nous pouvons examiner le nombre et la nature des Constitutions, et nous nous occuperons d'abord des Constitutions pures; une fois que celles-ci seront déterminées, on reconnaîtra sans peine les Constitutions corrompues.





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6.2. Politique - Page 3 Empty La Politique, Livre III, Chapitre cinquième

Message par Kaioh Jeu 28 Jan 2010 - 12:38

Livre III - Chapitre cinquième



Division des gouvernements : gouvernements purs, royauté, aristocratie, République; gouvernements corrompus, tyrannie, oligarchie, démagogie. Les objections faites contre cette division générale ne reposent que sur des hypothèses, et non sur des faits. Dissentiment des riches et des pauvres sur la justice et le droit politiques; les uns et les autres ne voient qu'une partie de la vérité; notion exacte et essentielle de la cité et de l'association politique, qui ont surtout en vue la vertu et le bonheur des associés, et non pas seulement la vie commune. Solution générale du litige entre la richesse et la pauvreté.

Le gouvernement et la Constitution étant choses identiques et le gouvernement étant le maître suprême de la cité, il faut absolument que ce maître soit, ou un seul individu, ou une minorité ou enfin la masse des citoyens. Quand le maître unique, ou la minorité, ou la majorité gouvernent dans l'intérêt général, la Constitution est nécessairement pure; quand ils gouvernent dans leur propre intérêt, soit dans l'intérêt d'un seul, soit dans l'intérêt de la minorité, soit dans l'intérêt de la foule, la Constitution est déviée de son but, puisque de deux choses l'une : ou les membres de l'association ne sont pas vraiment citoyens; ou, s'ils le sont, ils doivent avoir leur part de l'avantage commun.

Quand la monarchie ou gouvernement d'un seul a pour objet l'intérêt général, on la nomme vulgairement royauté. Avec la même condition, le gouvernement de la minorité, pourvu qu'elle ne soit pas réduite à un seul individu, c'est l'aristocratie, ainsi nommée, soit parce que le pouvoir est aux mains des gens honnêtes, soit parce que le pouvoir n'a d'autre objet que le plus grand bien de l'État et des associés. Enfin, quand la majorité gouverne dans le sens de l'intérêt général, le gouvernement reçoit comme dénomination spéciale la dénomination générique de tous les gouvernements et se nomme République.

Ces différences de dénomination sont fort justes. Une vertu supérieure peut être le partage d'un individu, d'une minorité; mais une majorité ne peut être désignée par aucune vertu spéciale, excepté toutefois la vertu guerrière, qui se manifeste surtout dans les masses; la preuve, c'est que, dans le gouvernement de la majorité, la partie la plus puissante de l'État est la partie guerrière; et tous ceux qui ont des armes y sont citoyens.

Les déviations de ces gouvernements sont : la tyrannie, pour la royauté; l'oligarchie, pour l'aristocratie; la démagogie [¹] [²], pour la République. La tyrannie est une monarchie qui n'a pour objet que l'intérêt personnel du monarque; l'oligarchie n'a pour objet que l'intérêt particulier des riches; la démagogie, celui des pauvres. Aucun de ces gouvernements ne songe à l'intérêt général.
Il faut nous arrêter quelques instants à bien noter la différence de chacun de ces trois gouvernements, car la question offre des difficultés. Quand on observe les choses philosophiquement et qu'on ne veut pas se borner seulement au fait pratique, on doit, quelque méthode d'ailleurs qu'on adopte, n'omettre aucun détail et n'en négliger aucun, mais les montrer tous dans leur vrai jour.

La tyrannie, comme je viens de le dire, est le gouvernement d'un seul, régnant en maître sur l'association politique; l'oligarchie est la prédominance politique des riches; et la démagogie, au contraire, la prédominance des pauvres, à l'exclusion des riches. On fait une première objection contre cette définition même. Si la majorité maîtresse de l'État est composée de riches, et que le gouvernement de la majorité soit appelé la démocratie; et réciproquement, si par hasard, les pauvres, en minorité relativement aux riches, sont cependant, par la supériorité de leurs forces, maîtres de l'État; et si le gouvernement de la minorité doit être appelé l'oligarchie, les définitions que nous venons de donner deviennent inexactes.

On ne résout même pas cette difficulté en réunissant les idées de richesse et de minorité, celles de misère et de majorité, et en réservant le nom d'oligarchie pour le gouvernement où les riches, en minorité, occupent les emplois, et celui de démagogie, pour l'État où les pauvres, en majorité, sont les maîtres. Car comment classer les deux formes de Constitution que nous venons de supposer : l'une où les riches forment la majorité, l'autre où les pauvres forment la minorité, souverains les uns et les autres de l'État? Si toutefois quelques autres formes politiques n'ont point échappé à notre énumération.

Mais la raison nous dit assez que la domination de la minorité et celle de la majorité sont choses tout accidentelles, celle-ci dans les oligarchies, celle-là dans les démocraties, parce que les riches forment partout la minorité, comme les pauvres forment partout la majorité. Ainsi, les différences indiquées plus haut ne sont pas de véritables difficultés. Ce qui distingue essentiellement la démocratie et l'oligarchie, c'est la pauvreté et la richesse; et partout où le pouvoir est aux riches, majorité ou minorité, c'est une oligarchie; partout où il est aux pauvres, c'est une démagogie. Mais il n'en est pas moins vrai, je le répète, que généralement les riches sont en minorité, les pauvres en majorité. La richesse n'est qu'à quelques-uns, mais la liberté est à tous. Ce sont-là, du reste, les causes des dissensions politiques entre les riches et les pauvres.

Voyons d'abord quelles sont des deux parts les limites qu'on assigne à l'oligarchie et à la démagogie, et ce qu'on appelle le droit dans l'une et dans l'autre. Les deux côtés également revendiquent un certain droit qui est bien réel. Mais, de fait, leur justice ne va que jusqu'à un certain point; et ce n'est pas le droit absolu qu'établissent ni les uns, ni les autres. Ainsi, l'égalité paraît le droit commun, et sans doute elle l'est, non pas pour tous cependant, mais seulement entre égaux; et de même pour l'inégalité : elle est certainement un droit, non pas pour tous, mais bien pour des individus inégaux entre eux. Si l'on fait abstraction des individus, on risque de porter un jugement erroné. C'est qu'ici les Juges sont Juges et parties; et l'on est ordinairement mauvais Juge dans sa propre cause.

Le droit restreint à quelques-uns, pouvant s'appliquer aussi bien aux choses qu'aux personnes, comme je l'ai dit dans la Morale, l'on s'accorde sans peine sur l'égalité même de la chose, mais pas le moins du monde sur les personnes à qui cette égalité appartient; et cela, je le répète, tient à ce qu'on juge toujours fort mal quand on est intéressé. Parce que les uns et les autres expriment une certaine portion du Droit, ils croient qu'ils expriment le Droit absolu : d'une part, supérieurs en un point, en richesse par exemple, les uns se croient supérieurs en tout; d'autre part, égaux en un point, en liberté par exemple, les autres se croient absolument égaux. On oublie des deux côtés de dire l'objet capital.

Si l'association politique n'était en effet formée qu'en vue des richesses, la part des associés serait dans l'État en proportion directe de leurs propriétés, et les partisans de l'oligarchie auraient alors pleine raison; car il ne serait pas équitable que l'associé qui n'a mis qu'une mine sur cent, eût la même part que celui qui aurait fourni tout le reste, qu'on appliquât ceci à la première mise ou aux acquisitions postérieures.

Mais l'association politique a pour objet non pas seulement l'existence matérielle des associés, mais leur bonheur et leur vertu; autrement, elle pourrait s'établir entre des esclaves ou des êtres différents des Hommes, qui ne la forment point cependant, étant incapables de bonheur et de libre arbitre. L'association politique n'a point non plus pour objet unique l'alliance offensive et défensive entre les individus, ni leurs relations mutuelles, ni les services qu'ils peuvent se rendre; car alors les Étrusques et les Carthaginois et tous les peuples liés par des traités de commerce, devraient être considérés comme citoyens d'un seul et même État, grâce à leurs conventions sur les importations, sur la sûreté individuelle, sur les cas de guerre commune; ayant, du reste, chacun des magistrats séparés sans un seul magistrat commun pour toutes ces relations, parfaitement indifférents à la moralité de leurs alliés respectifs, quelque injustes et quelque pervers que puissent être ceux qui sont compris dans ces traités et attentifs seulement à se garantir de tout dommage réciproque. Mais comme c'est surtout à la vertu et à la corruption politiques que s'attachent ceux qui regardent à de bonnes lois, il est clair que la vertu est le premier soin d'un État qui mérite vraiment ce titre et qui n'est pas un État seulement de nom. Autrement, l'association politique est comme une alliance militaire de peuples éloignés, s'en distinguant à peine par l'unité de lieu; la loi, dès lors, est une simple convention; et, comme l'a dit le sophiste Lycophron : «Elle n'est qu'une garantie des droits individuels, sans aucune puissance sur la moralité et la justice personnelles des citoyens».

La preuve de ceci est bien facile. Qu'on réunisse par la pensée les localités diverses et qu'on enferme dans une seule muraille Mégare et Corinthe; certes on n'aura point fait par là de cette vaste enceinte une cité unique, même en supposant que tous ceux qu'elle renferme aient contracté entre eux des mariages, liens qui passent pour les plus essentiels de l'association civile. Ou bien encore qu'on suppose des Hommes isolés les uns des autres, assez rapprochés toutefois pour conserver des communications entre eux; qu'on leur suppose des lois communes sur la justice mutuelle qu'on doit observer dans les relations de commerce, les uns étant charpentiers, les autres laboureurs, cordonniers... au nombre de dix mille par exemple; si leurs rapports ne vont pas au-delà des échanges quotidiens et de l'alliance en cas de guerre, ce ne sera point encore là une cité.

Et pourquoi? Ici pourtant on ne dira pas que les liens de l'association ne sont pas assez resserrés. C'est que là où l'association est telle que chacun ne voit l'État que dans sa propre maison, là où l'union est une simple ligue contre la violence, il n'y a point de cité, à y regarder de près; les relations de l'union ne sont alors que celles des individus isolés. Donc évidemment, la cité ne consiste pas dans la communauté du domicile, ni dans la garantie des droits individuels, ni dans les relations de commerce et d'échange; ces conditions préliminaires sont bien indispensables pour que la cité existe; mais, même quand elles sont toutes réunies, la cité n'existe point encore. La Cité, c'est l'association du bonheur et de la vertu pour les familles et pour les classes diverses d'habitants, en vue d'une existence complète qui se suffise à elle-même.

Toutefois on ne saurait atteindre un tel résultat sans la communauté de domicile et sans le secours des mariages; et c'est là ce qui a donné naissance dans les États aux alliances de famille, aux phratries, aux sacrifices publics et aux fêtes qui réunissent les citoyens : la source de toutes ces institutions, c'est la bienveillance, sentiment qui pousse l'Homme à préférer la vie commune; le but de l'État, c'est le bonheur des citoyens, et toutes ces institutions-là ne tendent qu'à l'assurer. L'État n'est qu'une association où les familles réunies par bourgades doivent trouver tous les développements, toutes les facilités de l'existence; c'est-à-dire, je le répète, une vie vertueuse et fortunée. Ainsi donc, l'association politique a certainement pour objet la vertu et le bonheur des individus et non pas seulement la vie commune.

Ceux qui apportent le plus au fonds général de l'association, ceux-là ont dans l'État une plus large part que ceux qui, égaux ou supérieurs par la liberté, par la naissance, ont cependant moins de vertu politique; une plus large part que ceux qui, l'emportant par la richesse, le cèdent toutefois en mérite.

Je puis conclure de tout ceci qu'évidemment, dans leurs opinions si opposées sur le pouvoir, les riches et les pauvres n'ont trouvé les uns et les autres qu'une partie de la vérité et de la justice.





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6.2. Politique - Page 3 Empty La Politique, Livre III, Chapitre sixième

Message par Kaioh Jeu 28 Jan 2010 - 12:55

Livre III - Chapitre sixième



De la souveraineté; le gouvernement de l'État peut être profondément injuste; prétentions réciproques et également iniques de la foule et de la minorité. Arguments divers en faveur de la souveraineté populaire et énumération des objets auxquels elle peut s'étendre; objections contre ces arguments et réponse à ces objections. La souveraineté doit appartenir autant que possible aux lois fondées sur la raison; rapports intimes des lois avec la Constitution.

C'est un grand problème de savoir à qui doit appartenir la souveraineté dans l'État. Ce ne peut qu'être ou à la multitude, ou aux riches, ou aux gens de bien, ou à un seul individu supérieur par ses talents, ou à un tyran. L'embarras est, ce semble, égal de toutes parts. Quoi! Les pauvres, parce qu'ils sont en majorité, pourront se partager les biens des riches; et ce ne sera point une injustice, attendu que le souverain de par son droit aura décidé que ce n'en est point une! Et que sera donc la plus criante des iniquités? Mais, quand tout sera divisé, si une seconde majorité se partage de nouveau les biens de la minorité, l'État évidemment sera anéanti. Et pourtant, la vertu ne ruine point ce qui la possède; la justice n'est point un poison pour l'État. Cette prétendue loi ne peut donc être certainement qu'une flagrante injustice.

Par le même principe, tout ce qu'aura fait le tyran sera nécessairement juste; il emploiera la violence parce qu'il sera le plus fort, comme les pauvres l'auront été contre les riches. Le pouvoir appartiendra-t-il de droit à la minorité, aux riches? Mais s'ils agissent comme les pauvres et le tyran, s'ils pillent la multitude et la dépouillent, cette spoliation sera-t-elle juste? Les autres alors ne le seront pas moins.
Ainsi de toutes parts, on le voit, ce ne sont que crimes et iniquités.

Doit-on remettre la souveraineté absolue sur toutes les affaires aux citoyens distingués? Alors, c'est avilir toutes les autres classes exclues des fonctions publiques; les fonctions publiques sont de véritables honneurs, et la perpétuité du pouvoir aux mains de quelques citoyens déconsidère nécessairement tous les autres. Vaut-il mieux donner le pouvoir à un seul, à l'Homme supérieur? Mais, c'est exagérer le principe oligarchique; et une majorité plus grande encore sera bannie des magistratures. On pourrait ajouter que c'est une faute grave de substituer à la souveraineté de la loi la souveraineté d'un individu, toujours sujet aux mille passions qui agitent toute âme humaine. Eh bien! Dira-t-on : que la loi soit donc souveraine. Oligarchique ou démocratique, aura-t-on mieux évité tous les écueils? Pas le moins du monde; les mêmes dangers que nous venons de signaler subsisteront toujours.

Mais nous reviendrons ailleurs sur ces divers sujets.
Attribuer la souveraineté à la multitude plutôt qu'aux Hommes distingués, qui sont toujours en minorité, peut sembler une solution équitable et vraie de la question, quoiqu'elle ne tranche pas encore toutes les difficultés. On peut admettre en effet que la majorité, dont chaque membre pris à part n'est pas un Homme remarquable, est cependant au-dessus des Hommes supérieurs, sinon individuellement, du moins en masse, comme un repas à frais communs est plus splendide que le repas dont une personne seule fait la dépense. Dans cette multitude, chaque individu a sa part de vertu, de sagesse; et tous en se rassemblant forment, on peut dire, un seul Homme ayant des mains, des pieds, des sens innombrables, un moral et une intelligence en proportion. Ainsi, la foule porte des jugements exquis sur les œuvres de musique, de poésie; celui-ci juge un point, celui-là un autre, et l'assemblée entière juge l'ensemble de l'ouvrage.

L'Homme distingué, pris individuellement, diffère de la foule, comme la beauté, dit-on, diffère de la laideur, comme un bon tableau que l'art produit diffère de la réalité, par l'assemblage en un seul corps de beaux traits épars ailleurs; ce qui n'empêche pas que, si l'on analyse les choses, on ne puisse trouver mieux encore que le tableau, et que tel Homme puisse avoir les yeux plus beaux, tel l'emporter par toute autre partie du corps. Je n'affirmerai pas que ce soit là, dans toute multitude, dans toute grande réunion, la différence constante de la majorité au petit nombre des Hommes distingués; et certes on pourrait dire plutôt sans crainte de se tromper que, dans plus d'un cas, une différence de ce genre est impossible, car on pourrait alors pousser la comparaison jusqu'aux animaux : et en quoi, je le demande, certains Hommes diffèrent-ils des animaux? Mais l'assertion, si on la restreint à une multitude donnée, peut être parfaitement juste.

Ces considérations répondent à notre première question sur le souverain et à celle-ci qui lui est intimement liée : à quels objets la souveraineté des Hommes libres et de la masse des citoyens doit-elle s'étendre? Je comprends par la masse des citoyens tous les Hommes d'une fortune et d'un mérite ordinaires. Il y a danger à leur confier les magistratures importantes : faute d'équité et de lumières, ils seront injustes dans tel cas et se tromperont dans tel autre. Les repousser de toutes les fonctions n'est pas plus sûr : un État où tant de gens sont pauvres et privés de toute distinction publique, compte nécessairement dans son sein autant d'ennemis. Mais on peut leur laisser le droit de délibérer sur les affaires publiques, et le droit de juger.

Aussi, Solon et quelques autres législateurs leur ont-ils accordé l'élection et la censure des magistrats, tout en leur refusant des fonctions individuelles. Quand ils sont assemblés, leur masse sent toujours les choses avec une intelligence suffisante; et réunie aux Hommes distingués, elle sert l'État, de même que des aliments peu choisis, joints à quelques aliments plus délicats, donnent par leur mélange une quantité plus forte et plus profitable de nourriture. Mais les individus pris isolément n'en sont pas moins incapables de juger.

On peut faire à ce principe politique une première objection, et demander si, lorsqu'il s'agit de juger du mérite d'un traitement médical, il ne faut point appeler celui-là même qui serait, au besoin, capable de guérir le malade de la douleur qu'il souffre actuellement, c'est-à-dire, le médecin; et j'ajoute que ce raisonnement peut s'appliquer à tous les autres arts, à tous les cas où l'expérience joue le principal rôle. Si donc le médecin a pour juges naturels les médecins, il en sera de même dans toute autre chose. Médecin signifie à la fois celui qui exécute l'ordonnance et celui qui la prescrit, et l'Homme qui a été instruit dans la science. Tous les arts, on peut dire, ont, comme la médecine, des divisions pareilles; et l'on accorde le droit de juger à la science théorique aussi bien qu'à l'instruction pratique.

L'élection des magistrats remise à la multitude peut être attaquée de la même manière. Ceux-là seuls qui savent faire la chose, dira-t-on, ont assez de lumières pour bien choisir. C'est au géomètre de choisir les géomètres, au pilote de choisir les pilotes; car si, pour certains objets, dans certains arts, on peut travailler sans apprentissage, on ne fait certainement pas mieux que les Hommes spéciaux. Donc, par la même raison, il ne faut laisser à la foule ni le droit d'élire les magistrats, ni le droit de leur faire rendre des comptes.

Mais peut-être cette objection n'est-elle pas fort juste par les motifs que j'ai déjà dit plus haut, à moins qu'on ne suppose une multitude tout à fait dégradée. Les individus isolés jugeront moins bien que les savants, j'en conviens; mais tous réunis, ou ils vaudront mieux, ou ils ne vaudront pas moins. Pour une foule de choses, l'artiste n'est ni le seul ni le meilleur Juge, dans tous les cas où l'on peut bien connaître son œuvre, sans posséder son art. Une maison, par exemple, peut être appréciée par celui qui l'a bâtie; mais elle le sera bien mieux encore par celui qui l'habite; et celui-là, c'est le chef de famille. Ainsi encore le timonier du vaisseau se connaîtra mieux en gouvernails que le charpentier; et c'est le convive et non pas le cuisinier qui juge le festin.
Ces considérations peuvent paraître suffisantes pour lever cette première objection.

En voici une autre qui s'y rattache. Il y a peu de raison, dira-t-on, à investir la multitude sans mérite, d'un plus large pouvoir que les citoyens distingués. Rien n'est au-dessus de ce droit d'élection et de censure que bien des États, comme je l'ai dit, ont accordé aux classes inférieures, et qu'elles exercent souverainement dans l'assemblée publique. Cette assemblée, le Sénat et les tribunaux sont ouverts, moyennant un cens modique, à des citoyens de tout âge; et en même temps on exige pour les fonctions de trésorier, celles de général, et pour les autres. magistrature; importantes, des conditions de cens fort élevées.

La réponse à cette seconde objection n'est pas ici plus difficile. Les choses sont peut-être encore fort bien telles qu'elles sont. Ce n'est pas l'individu, Juge, sénateur, membre de l'assemblée publique qui prononce souverainement; c'est le tribunal, c'est le Sénat, c'est le peuple, dont cet individu n'est qu'une fraction minime, dans sa triple attribution de sénateur, de Juge et de membre de l'assemblée générale. De ce point de vue, il est juste que la multitude ait un plus large pouvoir; car c'est elle qui forme et le peuple et le Sénat et le tribunal. Le cens possédé par cette masse entière dépasse celui qui possède individuellement, et dans leur minorité, tous ceux qui remplissent les fonctions éminentes.

Je n'irai pas du reste plus loin sur ce sujet. Mais quant à la première question que nous nous étions posée sur la personne du souverain, la conséquence la plus évidente qui découle de notre discussion, c'est que la souveraineté doit appartenir aux lois fondées sur la raison et que le magistrat, unique ou multiple, ne doit être souverain que là où la loi n'a pu rien disposer, par l'impossibilité de préciser tous les détails dans des règlements généraux. Nous n'avons point encore expliqué ce que doivent être des lois fondées sur la raison et notre première question reste entière. Je dirai seulement que, de toute nécessité, les lois suivent les gouvernements; mauvaises ou bonnes, justes ou iniques, selon qu'ils le sont eux-mêmes. Il est du moins de toute évidence que les lois doivent se rapporter à l'État; et ceci une fois admis, il n'est pas moins évident que les lois sont nécessairement bonnes dans les gouvernements purs et vicieuses dans les gouvernements corrompus.





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6.2. Politique - Page 3 Empty La Politique, Livre III, Chapitre septième

Message par Kaioh Ven 29 Jan 2010 - 10:19

Livre III - Chapitre septième



Suite de la théorie de la souveraineté; pour savoir à qui elle appartient, on ne peut tenir compte que des avantages vraiment politiques, et non des avantages quels qu'ils soient : la noblesse, la liberté, la fortune, la justice, le courage militaire, la science et la vertu. Insuffisance des prétentions exclusives; l'égalité est, en général, le but que le législateur doit se proposer, afin de les concilier.

Toutes les sciences, tous les arts ont un bien pour but; et le premier des biens doit être l'objet suprême de la plus haute de toutes les sciences; or, cette science, c'est la politique. Le bien en politique, c'est la justice; en d'autres termes, l'utilité générale. On pense communément que la justice est une sorte d'égalité; et ici l'opinion vulgaire est, jusqu'à un certain point, d'accord avec les principes philosophiques [¹] [²] par lesquels nous avons traité de la morale. On s'accorde en outre sur la nature de la justice, sur les êtres auxquels elle s'applique, et l'on convient que l'égalité doit régner nécessairement entre égaux; reste à fixer à quoi s'applique l'égalité et à quoi s'applique l'inégalité; questions difficiles qui constituent la philosophie politique.

On soutiendra peut-être que le pouvoir politique doit se répartir inégalement, en raison de la prééminence en un mérite quelconque, tous les autres points restant d'ailleurs parfaitement pareils, et les citoyens étant d'ailleurs parfaitement semblables; et que les droits et la considération doivent être différents, quand les individus diffèrent. Mais si ce principe est vrai, même la fraîcheur du teint, ou la grandeur de la taille, ou tel autre avantage, quel qu'il soit, pourra donc donner droit à une supériorité de pouvoir politique. L'erreur n'est-elle pas ici manifeste? Quelques réflexions tirées des autres sciences et des autres arts le prouveront assez. Si l'on distribue des flûtes à des artistes égaux entre eux en tant qu'occupés du même art, on ne donnera pas les meilleurs instruments aux individus les plus nobles, puisque leur noblesse ne les rend pas plus habiles à jouer de la flûte; mais on devra remettre l'instrument le plus parfait à l'artiste qui saura le plus parfaitement s'en servir.

Si le raisonnement n'est pas encore assez clair, qu'on le pousse un peu plus loin. Qu'un Homme très distingué dans l'art de la flûte le soit beaucoup moins par la naissance et la beauté, avantages qui, pris chacun à part, sont, si l'on veut, très préférables à un talent d'artiste, et qu'à ces deux égards, noblesse et beauté, ses rivaux l'emportent sur lui beaucoup plus que lui-même ne l'emporte sur eux comme virtuose; je soutiens que c'est toujours à lui qu'appartient l'instrument supérieur. Autrement, il faudrait que l'exécution musicale profitât beaucoup des supériorités de naissance et de fortune; mais ces avantages ne peuvent y procurer le plus léger progrès.

À suivre encore ce faux raisonnement, un avantage quelconque pourrait entrer en parallèle avec tout autre. Parce que la taille de tel Homme l'emporterait sur la taille de tel autre, il s'ensuivrait qu'en règle générale la taille pourrait être mise en balance avec la fortune et la liberté. Si, parce que l'un est plus distingué par sa taille que l'autre par sa vertu, on place en général la taille fort au-dessus de la vertu, les objets les plus disparates pourront être mis dès lors au même niveau; car si la taille à certain degré peut surpasser telle autre qualité à certain degré, il est clair qu'il suffira de proportionner les degrés pour obtenir l'égalité absolue.

Mais comme il y a ici une impossibilité radicale, il est clair qu'on ne prétend pas le moins du monde, en fait de droits politiques, répartir le pouvoir selon toute espèce d'inégalité. Que les uns soient légers à la course et les autres fort lents, ce n'est pas une raison pour qu'en politique les uns aient plus et les autres moins; c'est aux jeux gymniques que ces différences-là seront appréciées à leur juste valeur. Ici, on ne doit nécessairement mettre en concurrence que les objets qui contribuent à la formation de l'État. Aussi a-t-on toute raison d'accorder une distinction particulière à la noblesse, à la liberté, à la fortune; car les individus libres et les citoyens qui possèdent le cens légal, sont les membres de l'État; et il n'y aurait point d'État si tous étaient pauvres, non plus que si tous étaient esclaves.

Mais à ces premiers éléments, il en faut joindre évidemment aussi deux autres : la justice et la valeur guerrière, dont l'État ne peut pas davantage se passer; car si les uns sont indispensables à son existence, les autres le sont à sa prospérité. Tous ces éléments, ou du moins la plupart, peuvent se disputer à bon droit l'honneur de constituer l'existence de la cité; mais c'est surtout, je le répète, comme je l'ai dit plus haut, à la science et à la vertu de s'attribuer son bonheur.

De plus, comme l'égalité et l'inégalité complètes sont injustes entre des individus qui ne sont égaux ou inégaux entre eux que sur un seul point, tous les gouvernements où l'égalité et l'inégalité sont établies sur des bases de ce genre, sont nécessairement corrompus. Nous avons dit aussi plus haut que tous les citoyens ont raison de se croire des droits, mais que tous ont tort de se croire des droits absolus : les riches, parce qu'ils possèdent une plus large part du territoire commun de la cité et qu'ils ont ordinairement plus de crédit dans les transactions commerciales; les nobles et les Hommes libres, classes fort voisines l'une de l'autre, parce que la noblesse est plus réellement citoyenne que la roture, et que la noblesse est estimée chez tous les peuples; et de plus, parce que des descendants vertueux doivent, selon toute apparence, avoir de vertueux ancêtres; car la noblesse n'est qu'un mérite de race.

Certes, la vertu peut, selon nous, élever la voix non moins justement; la vertu sociale, c'est la justice, et toutes les autres ne viennent nécessairement que comme des conséquences après elle. Enfin la majorité aussi a des prétentions qu'elle peut opposer à celles de la minorité; car la majorité, prise dans son ensemble, est plus puissante, plus riche et meilleure que le petit nombre.

Supposons donc la réunion, dans un seul État, d'individus distingués, nobles, riches d'une part; et de l'autre, une multitude à qui l'on peut accorder des droits politiques : pourra-t-on dire sans hésitation à qui doit appartenir la souveraineté? Ou le doute sera-t-il encore possible? Dans chacune des Constitutions que nous avons énumérées plus haut, la question de savoir qui doit commander n'en peut faire une, puisque leur différence repose précisément sur celle du souverain. Ici la souveraineté est aux riches; là, aux citoyens distingués; et ainsi du reste. Voyons cependant ce que l'on doit faire quand toutes ces conditions diverses se rencontrent simultanément dans la cité.

En supposant que la minorité des gens de bien soit extrêmement faible, comment pourra-t-on statuer à son égard? Regardera-t-on si, toute faible qu'elle est, elle peut suffire cependant à gouverner l'État, ou même à former par elle seule une cité complète? Mais alors se présente une objection qui est également juste contre tous les prétendants au pouvoir politique, et qui semble renverser toutes les raisons de ceux qui réclament l'autorité comme un droit de leur fortune, aussi bien que de ceux qui la réclament comme un droit de leur naissance. En adoptant le principe qu'ils allèguent-pour eux-mêmes, la prétendue souveraineté devrait évidemment passer à l'individu qui serait à lui seul plus riche que tous les autres ensemble; et de même, le plus noble par sa naissance l'emporterait sur tous ceux qui ne font valoir que leur liberté.

Même objection toute pareille contre l'aristocratie, qui se fonde sur la vertu; car si tel citoyen est supérieur en vertu à tous les membres du gouvernement, gens eux-mêmes fort estimables, le même principe lui conférera la souveraineté. Même objection encore contre la souveraineté de la multitude, fondée sur la supériorité de sa force relativement à la minorité; car si un individu par hasard, ou quelques individus moins nombreux toutefois que la majorité, sont plus forts qu'elle, la souveraineté leur appartiendra de préférence plutôt qu'à la foule.

Tout ceci semble démontrer clairement qu'il n'y a de complète justice dans aucune des prérogatives, au nom desquelles chacun réclame le pouvoir pour soi et l'asservissement pour les autres. Aux prétentions de ceux qui revendiquent l'autorité pour leur mérite ou pour leur fortune, la multitude pourrait opposer d'excellentes raisons. Rien n'empêche, en effet, qu'elle ne soit plus riche et plus vertueuse que la minorité, non point individuellement, mais en masse. Ceci même répond à une objection que l'on met en avant et qu'on répète souvent comme fort grave on demande si, dans le cas que nous avons supposé, le législateur qui veut établir des lois parfaitement justes doit avoir en vue l'intérêt de la multitude ou celui des citoyens distingués. La justice ici, c'est l'égalité; et cette égalité de la justice se rapporte autant à l'intérêt général de l'État qu'à l'intérêt individuel des citoyens. Or, le citoyen en général [¹] [²] est l'individu qui a part à l'autorité et l'obéissance publiques, la condition du citoyen étant d'ailleurs variable suivant la Constitution; et dans la République parfaite, le citoyen, c'est l'individu qui peut et qui veut obéir et gouverner tour à tour, suivant les préceptes de la vertu.





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6.2. Politique - Page 3 Empty La Politique, Livre III, Chapitre huitième

Message par Kaioh Ven 29 Jan 2010 - 10:26

Livre III - Chapitre huitième



Suite de la théorie de la souveraineté; exception au principe de l'égalité en faveur de l'Homme supérieur; origine et justification de l'ostracisme; usage de l'ostracisme dans les gouvernements de toute espèce; l'ostracisme n'est pas possible dans la Cité parfaite; l'État doit se soumettre à l'Homme supérieur; apothéose du génie.

Si dans l'État un individu [¹] [²] [³], ou même plusieurs individus, trop peu nombreux toutefois pour former entre eux seuls une cité entière, ont une telle supériorité de mérite que le mérite de tous les autres citoyens ne puisse entrer en balance, et que l'influence politique de cet individu unique, ou de ces individus, soit incomparablement plus forte, de tels Hommes ne peuvent être compris dans la cité. Ce sera leur faire injure que de les réduire à l'égalité commune, quand leur mérite et leur importance politiques les mettent si complètement hors de comparaison; de tels personnages sont, on peut dire, des dieux par les Hommes.

Nouvelle preuve que la législation ne doit nécessairement concerner que des individus égaux par leur naissance et par leurs facultés. Mais la loi n'est point faite pour ces êtres supérieurs; ils sont eux-mêmes la loi. Il serait ridicule de tenter de les soumettre à la Constitution; car ils pourraient répondre ce que, suivant Antisthène, les lions répondirent au décret rendu par l'assemblée des lièvres sur l'égalité générale des animaux. Voilà, aussi l'origine de l'ostracisme dans les États démocratiques, qui plus que tous les autres, se montrent jaloux de l'égalité. Dès qu'un citoyen semblait s'élever au-dessus de tous les autres par sa richesse, par la foule de ses partisans, ou par tout autre avantage politique, l'ostracisme venait le frapper d'un exil plus ou moins long.

Dans la mythologie, les Argonautes n'ont point d'autre motif pour abandonner Hercule; Argo déclare qu'elle ne veut pas le porter, parce qu'il est beaucoup plus pesant que le reste de ses compagnons. Aussi a-t-on bien tort de blâmer d'une manière absolue la tyrannie et le conseil que Périandre [¹] [²] donnait à Thrasybule : pour toute réponse à l'envoyé qui venait lui demander conseil, il se contenta de niveler une certaine quantité d'épis, en cassant ceux qui dépassaient les autres. Le messager ne comprit rien au motif de cette action; mais Thrasybule, quand on l'en informa, entendit fort bien qu'il devait se défaire des citoyens puissants.

Cet expédient n'est pas utile seulement aux tyrans; aussi ne sont-ils pas les seuls à en user. On l'emploie avec un égal succès dans les oligarchies et dans les démocraties. L'ostracisme y produit à peu près les mêmes résultats, en arrêtant par l'exil la puissance des personnages qu'il frappe. Quand on est en mesure de le pouvoir, on applique ce principe politique à des États, à des peuples entiers. On peut voir la conduite des Athéniens à l'égard des Samiens, des Chiotes et des Lesbiens. À peine leur puissance fut-elle affermie, qu'ils eurent soin d'affaiblir leurs sujets, en dépit de tous les traités; et le Roi des Perses a plus d'une fois châtié les Mèdes, les Babyloniens et d'autres peuples, tout fiers encore des souvenirs de leur antique domination.

Cette question intéresse tous les gouvernements sans exception, même les bons. Les gouvernements corrompus emploient ces moyens-là dans un intérêt tout particulier; mais on ne les emploie pas moins dans les gouvernements d'intérêt général. On peut éclaircir ce raisonnement par une comparaison empruntée aux autres sciences, aux autres arts. Le peintre ne laissera point dans son tableau un pied qui dépasserait les proportions des autres parties de la figure, ce pied fût-il beaucoup plus beau que le reste; le charpentier de marine ne recevra pas davantage une proue, ou telle autre pièce du bâtiment, si elle est disproportionnée; et le choriste en chef n'admettra point, dans un concert, une voix plus forte et plus belle que toutes celles qui forment le reste du chœur.

Rien n'empêche donc les monarques de se trouver en ceci d'accord avec les États qu'ils régissent, si de fait ils ne recourent à cet expédient que quand la conservation de leur propre pouvoir est dans l'intérêt de l'État.
Ainsi les principes de l'ostracisme appliqué aux supériorités bien reconnues ne sont pas dénués de toute équité politique. Il est certainement préférable que la cité, grâce aux institutions primitives du législateur, puisse se passer de ce remède; mais si le législateur reçoit de seconde main le gouvernail de l'État, il peut, dans le besoin, recourir à ce moyen de réforme. Ce n'est point ainsi, du reste, qu'on l'a jusqu'à présent employé; on n'a point considéré le moins du monde dans l'ostracisme l'intérêt véritable de la République et l'on en a fait une simple affaire de faction. Pour les gouvernements corrompus, l'ostracisme, en servant un intérêt particulier, est aussi par cela même évidemment juste; mais il est tout aussi évident qu'il n'est point d'une justice absolue.

Dans la Cité parfaite, la question est bien autrement difficile. La supériorité sur tout autre point que le mérite, richesse ou influence, ne peut causer d'embarras; mais que faire contre la supériorité de mérite? Certes, on ne dira pas qu'il faut bannir ou chasser le citoyen qu'elle distingue. On ne prétendra pas davantage qu'il faut le réduire à l'obéissance; car prétendre au partage du pouvoir, ce serait donner un maître à Jupiter lui-même. Le seul parti [¹] [²] que naturellement tous les citoyens semblent devoir adopter, est de se soumettre de leur plein gré à ce grand Homme, et de le prendre pour Roi durant sa vie entière.





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Message par Kaioh Ven 29 Jan 2010 - 10:34

Livre III - Chapitre neuvième



Théorie de la royauté. De l'utilité ou des dangers de cette forme de gouvernement. Cinq espèces diverses de la royauté, qui doit toujours être légale; la première espèce n'est guère qu'un généralat viager; la seconde est celle de certains peuples barbares et se rapproche de la tyrannie par ses pouvoirs illimités; la troisième comprend les Aesymnéties, ou tyrannies volontaires, consenties pour un temps plus ou moins long; la quatrième espèce est la royauté des temps héroïques, souveraine maîtresse à la guerre et dans les procès de tout genre; la cinquième enfin est celle où le Roi est maître de tous les pouvoirs, à peu près comme le père les possède tous dans la famille.

Les développements qui précèdent nous conduisent assez bien à l'étude de la royauté, que nous avons classée parmi les bons gouvernements. La cité ou l'État bien constitué doit-il ou ne doit-il pas, dans son intérêt, être régi par un Roi? N'existe-t-il point de gouvernement préférable à celui-là, qui, s'il est utile à quelques peuples, peut ne pas l'être à bien d'autres? Telles sont les questions que nous avons à examiner. Mais recherchons d'abord si la royauté est simple ou si elle ne se divise pas en plusieurs espèces différentes.

Il est bien aisé de reconnaître qu'elle est multiple, et que ses attributions ne sont pas identiques dans tous les États. Ainsi, la royauté dans le gouvernement de Sparte, parait être celle qui est la plus légale; mais elle n'est pas maîtresse absolue. Le Roi dispose souverainement de deux choses seulement : des affaires militaires, qu'il dirige quand il est hors du territoire national, et des affaires religieuses. La royauté ainsi comprise n'est vraiment qu'un généralat inamovible, investi de pouvoirs suprêmes. Elle n'a point le droit de vie et de mort, si ce n'est dans un seul cas, réservé aussi chez les anciens : dans les expéditions militaires, dans la chaleur du combat. C'est Homère qui nous l'apprend. Agamemnon, quand on délibère, se laisse patiemment insulter; mais quand on marche à l'ennemi, son pouvoir va jusqu'au droit de mort, et il peut s'écrier :
"Celui qu'alors je trouve auprès de nos vaisseaux,
Je le jette, le lâche, aux chiens, aux vils oiseaux;
Car j'ai droit de tuer...."

Cette première espèce de royauté n'est donc qu'un généralat viager; elle peut être du reste tantôt héréditaire et tantôt élective.
Après celle-là, je placerai une seconde espèce de royauté, que l'on trouve établie chez quelques peuples barbares; en général, elle a les mêmes pouvoirs à peu près que la tyrannie, bien qu'elle soit légitime et héréditaire. Des peuples poussés par un esprit naturel de servitude, disposition beaucoup plus prononcée chez les barbares que chez les Grecs, dans les Asiatiques que dans les Européens, supportent le joug du despotisme sans peine et sans murmure; voilà pourquoi les royautés qui pèsent sur ces peuples sont tyranniques, bien qu'elles reposent d'ailleurs sur les bases solides de la loi et de l'hérédité.

Voilà encore pourquoi la garde qui entoure ces Rois-là est vraiment royale, et qu'elle n'est pas une garde comme en ont les tyrans. Ce sont des citoyens en armes qui veillent à la sûreté d'un Roi; le tyran ne confie la sienne qu'à des étrangers. C'est que là, l'obéissance est légale et volontaire, et qu'ici elle est forcée. Les uns ont une garde de citoyens; les autres ont une garde contre les citoyens.

Après ces deux espèces de monarchies, en vient une troisième, dont on trouve des exemples chez les anciens Grecs, et qu'on nomme Aesymtétie. C'est, à bien dire, une tyrannie élective, se distinguant de la royauté barbare, non en ce qu'elle n'est pas légale, mais seulement en ce qu'elle n'est pas héréditaire. Les Aesymnètes recevaient leurs pouvoirs, tantôt pour la vie, tantôt pour un temps ou un fait déterminé. C'est ainsi que Mitylène élut Pittacus, pour repousser les bannis, que commandaient Antiménide et Alcée, le poète.

Alcée lui-même nous apprend dans un de ses Scolies que Pittacus fut élevé à la tyrannie; il y reproche à ses concitoyens «d'avoir pris un Pittacus, l'ennemi de son pays, pour en faire le tyran de cette ville, qui ne sent ni le poids de ses maux, ni le poids de sa honte, et qui n'a point assez de louanges pour son assassin». Les Aesymnéties anciennes ou actuelles tiennent, et du despotisme par les pouvoirs tyranniques qui leur sont remis, et de la royauté par l'élection libre qui les a créées.

Une quatrième espèce de royauté est celle des temps héroïques, consentie par les citoyens, et héréditaire par la loi. Les fondateurs de ces monarchies, bienfaiteurs des peuples, soit en les éclairant par les arts, soit en les guidant à la victoire, en les réunissant ou en leur conquérant des établissements, furent nommés Rois par reconnaissance et transmirent le pouvoir à leurs fils. Ces Rois avaient le commandement suprême à la guerre, et faisaient tous les sacrifices où le ministère des pontifes n'était pas indispensable. Outre ces deux prérogatives, ils étaient Juges souverains de tous les procès, tantôt sans serment, et tantôt en donnant cette garantie. La formule du serment consistait à lever le sceptre en l'air.

Dans les temps reculés, le pouvoir de ces Rois comprenait toutes les affaires politiques de l'intérieur et du dehors sans exception; mais plus tard, soit par l'abandon volontaire des Rois, soit par l'exigence des peuples, cette royauté fut réduite presque partout à la présidence des sacrifices; et là où elle méritait encore son nom, elle n'avait gardé que le commandement des armées hors du territoire de l'État.

Nous avons donc reconnu quatre sortes de royautés : l'une, celle des temps héroïques, librement consentie, mais limitée aux fonctions de général, de Juge et de pontife; la seconde, celle des barbares, despotique et héréditaire par la loi; la troisième, celle qu'on nomme Aesymnétie, et qui est une tyrannie élective; la quatrième, enfin, celle de Sparte, qui n'est, à proprement parler, qu'un généralat perpétuellement héréditaire dans une race. Ces quatre royautés sont ainsi suffisamment distinctes entre elles.

Il en est une cinquième, où un seul chef dispose de tout, comme ailleurs le corps de la nation, l’État, dispose de la chose publique. Cette royauté a de grands rapports avec le pouvoir domestique; de même que l'autorité du père est une sorte de royauté sur la famille, de même la royauté dont nous parlons ici est une administration de famille s'appliquant à une cité, à une ou plusieurs nations.





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6.2. Politique - Page 3 Empty La Politique, Livre III, Chapitre dixième

Message par Kaioh Lun 26 Juil 2010 - 18:49

Livre III - Chapitre dixième



Suite de la théorie de la royauté; les cinq espèces peuvent être réduites à deux principales. De la royauté absolue; vaut-il mieux remettre le pouvoir à un seul individu qu'à des lois faites par des citoyens éclairés et honnêtes? Arguments pour et contre la royauté absolue; l'aristocratie lui est très préférable; causes qui ont amené l'établissement et ensuite la ruine des royautés. L'hérédité du pouvoir royal n'est pas admissible. De la force publique mise à la disposition de la royauté.

Nous n'avons réellement à considérer que deux formes de la royauté : la cinquième, dont nous venons de parler, et la royauté de Lacédémone. Les autres se trouvent comprises entre ces deux extrêmes, et sont, ou plus restreintes dans leurs pouvoirs que la monarchie absolue, ou plus étendues que la royauté de Sparte.

Nous nous bornerons donc aux deux points suivants : d'abord, est-il utile ou funeste à l'État d'avoir un général perpétuel, qu'il soit d'ailleurs héréditaire ou électif? En second lieu, est-il utile ou funeste à l'État d'avoir un maître absolu?

La question d'un généralat de ce genre est un objet de lois réglementaires bien plutôt que de Constitution, puisque toutes les Constitutions pourraient également l'admettre. Je ne m'arrêterai donc point à la royauté de Sparte. Quant à l'autre espèce de royauté, elle forme une espèce de Constitution à part; je vais m'en occuper spécialement, et parcourir toutes les questions qu'elle peut faire naître.

Le premier point, dans cette recherche, est de savoir s'il est préférable de remettre le pouvoir à un individu de mérite, ou de le laisser à de bonnes lois? Les partisans de la royauté, qui la trouvent si bienfaisante, prétendront, sans nul doute, que la loi, ne disposant jamais que d'une manière générale, ne peut prévoir tous les cas accidentels, et que c'est déraisonner que de vouloir soumettre une science, quelle qu'elle soit, à l'empire d'une lettre morte, comme cette loi d'Égypte, qui ne permet aux médecins d'agir qu'après le quatrième jour de la maladie, et qui les rend responsables, s'ils agissent avant ce délai. Donc, évidemment, la lettre et la loi ne peuvent jamais, par les mêmes motifs, constituer un bon gouvernement. Mais d'abord, cette forme de dispositions générales est une nécessité pour tous ceux qui gouvernent; et l'emploi en est certainement plus sage dans une nature exempte de toutes les passions que dans celle qui leur est essentiellement soumise. La loi est impassible; toute âme humaine au contraire est nécessairement passionnée.

Mais, dit-on, le monarque sera plus apte que la loi à prononcer dans les cas particuliers. On admet alors évidemment qu'en même temps qu'il est législateur, il existe aussi des lois qui cessent d'être souveraines là où elles se taisent, mais qui le sont partout, où elles parlent. Dans tous le cas où la loi ne peut pas du tout prononcer, ou ne peut pas prononcer équitablement, doit-on s'en remettre à l'autorité d'un individu supérieur à tous les autres, ou à celle de la majorité? En fait, la majorité aujourd'hui juge, délibère, élit dans les assemblées publiques; et tous ses décrets se rapportent à des cas particuliers. Chacun de ses membres, pris à part, est inférieur peut-être, si on le compare à l'individu dont je viens de parler; mais l'État se compose précisément de cette majorité, et le repas où chacun fournit son écot est toujours plus complet que ne le serait le repas isolé d'un des convives. C'est là ce qui rend la foule, dans la plupart des cas, meilleur Juge qu'un individu quel qu'il soit.

De plus, une grande quantité est toujours moins corruptible, comme l'est par exemple une masse d'eau; et la majorité est de même bien moins facile à corrompre que la minorité. Quand l'individu est subjugué par la colère ou toute autre passion, il laisse de toute nécessité fausser son jugement; mais il serait prodigieusement difficile que, dans le même cas, la majorité tout entière se mît en fureur ou se trompât. Qu'on prenne d'ailleurs une multitude d'hommes libres, ne s'écartant de la loi que là où nécessairement la loi doit être en défaut, bien que la chose ne soit pas aisée dans une masse nombreuse, je puis supposer toutefois que la majorité s'y compose d'hommes honnêtes comme individus et comme citoyens; je demande alors si un seul sera plus incorruptible, ou si ce n'est pas cette majorité nombreuse, mais probe? Ou plutôt l'avantage n'est-il pas évidemment à la majorité? Mais, dit-on, la majorité peut s'insurger; un seul ne le peut pas. On oublie alors que nous avons supposé à tous les membres de la majorité autant de vertu qu'à cet individu unique.

Si donc on appelle aristocratie le gouvernement de plusieurs citoyens honnêtes, et royauté le gouvernement d'un seul, l'aristocratie sera certainement pour les États très préférable à la royauté, que d'ailleurs son pouvoir soit absolu ou ne le soit pas, pourvu qu'elle se compose d'individus aussi vertueux les uns que les autres. Si nos ancêtres se sont soumis à des Rois, c'est peut-être qu'il était fort rare alors de trouver des hommes supérieurs, surtout dans des États aussi petits que ceux de ce temps-là; ou bien ils n'ont fait des Rois que par pure reconnaissance, gratitude qui témoigne en faveur de nos pères. Mais quand l'État renferma plusieurs citoyens d'un mérite également distingué, on ne put souffrir plus longtemps la royauté; on chercha une forme de gouvernement où l'autorité pût être commune,- et l'on établit la République.

La corruption amena des dilapidations publiques, et créa fort probablement, par suite de l'estime toute particulière accordée à l'argent, des oligarchies. Celles-ci se changèrent d'abord en tyrannies, comme les tyrannies se changèrent bientôt en démagogies. La honteuse cupidité des gouvernants, tendant sans cesse à restreindre leur nombre, fortifia d'autant les masses, qui purent bientôt renverser les oppresseurs et saisir le pouvoir pour elles-mêmes. Plus tard, l'accroissement des États ne permit guère d'adopter une autre forme de gouvernement que la démocratie.

Mais nous demandons à ceux qui vantent l'excellence de la royauté, quel sort ils veulent faire aux enfants des Rois? Est-ce que, par hasard, eux aussi devront régner? Certes, s'ils sont tels qu'on en a tant vu, cette hérédité sera bien funeste. Mais, dira-t-on, le Roi sera maître de ne point transmettre le pouvoir à sa race. La confiance est ici bien difficile; la position est fort glissante, et ce désintéressement exigerait un héroïsme qui est au-dessus du cœur humain.

Nous demanderons encore si, pour l'exercice de son pouvoir, le Roi, qui prétend dominer, doit avoir à sa disposition une force armée capable de contraindre les factieux à la soumission? Ou bien comment pourra-t-il assurer son autorité? En supposant même qu'il règne suivant les lois, et qu'il ne leur substitue jamais son arbitraire personnel, encore faudra-t-il qu'il dispose d'une certaine force pour protéger les lois elles-mêmes. Il est vrai que, pour un Roi si parfaitement légal, la question peut se résoudre assez vite : il doit avoir certainement une force armée, et cette force armée doit être calculée de façon à le rendre plus puissant que chaque citoyen en particulier, ou qu'un certain nombre de citoyens réunis, mais de façon aussi à le rendre toujours plus faible que la masse. C'est dans cette proportion que nos ancêtres réglaient les gardes, quand ils les accordaient en remettant l'État aux mains d'un chef qu'ils nommaient Aesymnète, ou d'un tyran. C'est encore sur cette base, lorsque Denys demanda des gardes, qu'un Syracusain, dans l'assemblée du peuple, conseilla de lui en accorder.





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6.2. Politique - Page 3 Empty La Politique, Livre III, Chapitre onzième

Message par Kaioh Lun 26 Juil 2010 - 19:14

Livre III - Chapitre onzième



Suite et fin de la théorie de la royauté absolue. Supériorité de la loi; bien qu'elle dispose toujours d'une manière générale, elle vaut mieux que le pouvoir arbitraire d'un individu; auxiliaires obligés que le monarque doit toujours se donner pour pouvoir exercer l'autorité; condamnation générale de la royauté absolue. Exception maintenue en faveur du génie. Fin de la théorie de la royauté.

Notre sujet nous conduit maintenant à la royauté où le monarque peut tout faire selon son bon plaisir, et nous allons l'étudier ici. Aucune des royautés dites légales ne forme, je le répète, une espèce particulière de gouvernement, puisqu'on peut établir partout un généralat inamovible, dans la démocratie aussi bien que dans l'aristocratie. Bien souvent l'administration militaire est confiée à un seul individu; et il y a une magistrature de ce genre à Épidamne [¹] [²] et à Opunte, où cependant les pouvoirs du chef suprême sont moins étendus.

Quant à ce qu'on nomme la royauté absolue [¹] [²], c'est-à-dire celle où un seul homme règne souverainement suivant son bon plaisir, bien des gens soutiennent que la nature des choses repousse elle-même ce pouvoir d'un seul sur tous les citoyens, puisque l'État n'est qu'une association d'êtres égaux, et qu'entre des êtres naturellement égaux, les prérogatives et les droits doivent être nécessairement identiques. S'il est physiquement nuisible de donner une égale nourriture et des vêtements égaux à des hommes de Constitution et de taille différentes, l'analogie n'est pas moins frappante pour les droits politiques. Et à l'inverse, l'inégalité entre égaux n'est pas moins déraisonnable.

Ainsi il est juste que les parts de pouvoir et d'obéissance pour chacun soient parfaitement égales, ainsi que leur alternative; car c'est là précisément ce que procure la loi, et la loi c'est la Constitution. Il faut donc préférer la souveraineté de la loi à celle d'un des citoyens; et, d'après ce même principe, si le pouvoir doit être remis à plusieurs parmi eux, on ne doit les faire que gardiens et serviteurs de la loi; car si l'existence des magistratures est chose indispensable, c'est une injustice patente de donner à un seul homme une magistrature suprême, à l'exclusion de tous ceux qui valent autant que lui.

Malgré ce qu'on en a dit, là où la loi est impuissante, un individu n'en saura jamais plus qu'elle; une loi qui a su convenablement instruire les magistrats, peut s'en rapporter à leur bon sens et à leur justice pour juger et régler tous les cas où elle se tait. Bien plus, elle leur accorde le droit de corriger tous ses défauts, quand l'expérience a démontré l'amélioration possible. Ainsi donc, quand on demande la souveraineté de la loi, c'est demander que la raison règne avec les lois; demander la souveraineté d'un Roi, c'est constituer souverains l'homme et la bête; car les entraînements de l'instinct, les passions du cœur corrompent les Hommes quand ils sont au pouvoir, même les meilleurs; mais la loi, c'est l'intelligence sans les passions aveugles.

L'exemple emprunté plus haut aux sciences ne paraît pas concluant. Il est dangereux de suivre en médecine des préceptes écrits, et il vaut mieux se confier aux praticiens. Un médecin ne sera jamais entraîné par amitié à donner quelque prescription déraisonnable; tout au plus aura-t-il en vue le prix de la guérison. En politique, au contraire, la corruption et la faveur exercent fort ordinairement leur funeste influence. Ce n'est que lorsqu'on soupçonne le médecin de s'être laissé gagner par des ennemis pour attenter à la vie de son malade, qu'on a recours aux préceptes écrits.

Bien plus, le médecin malade appelle pour le soigner d'autres médecins; le gymnaste montre sa force en présence d'autres gymnastes; pensant tous deux qu'ils jugeraient mal s'ils jugeaient dans leur propre cause, parce qu'ils n'y sont pas désintéressés. Donc évidemment, quand on ne veut que la justice, il faut prendre un moyen terme; et ce moyen terme, c'est la loi. D'ailleurs, il existe des lois fondées sur les mœurs, bien plus puissantes et bien plus importantes que les lois écrites; et si l'on peut trouver dans la volonté d'un monarque plus de garantie que dans la loi écrite, certainement on lui en trouvera moins qu'à ces lois dont les mœurs font toute la force.

Mais un seul homme ne peut tout voir de ses propres yeux; il faudra bien qu'il délègue son pouvoir à de nombreux inférieurs; et dès lors, n'est-il pas tout aussi bien d'établir ce partage dès l'origine que de le laisser à la volonté d'un seul individu? De plus, reste toujours l'objection que nous avons précédemment faite : si l'homme vertueux mérite le pouvoir à cause de sa supériorité, deux hommes vertueux le mériteront bien mieux encore. C'est le mot du poète :
"Deux braves compagnons, quand ils marchent ensemble...
C'est la prière d'Agamemnon, demandant au ciel
D'avoir dix conseillers sages comme Nestor."
Mais aujourd'hui même, dira-t-on, quelques États possèdent des magistratures chargées de prononcer souverainement, comme le fait le Juge, dans les cas que la loi n'a pu prévoir; preuve qu'on ne croit pas que la loi soit le souverain et le Juge le plus parfait, bien qu'on reconnaisse sa toute puissance là où elle a pu disposer.

Mais c'est justement parce que la loi ne peut embrasser que certains objets et qu'elle en laisse nécessairement échapper d'autres, qu'on doute de son excellence et qu'on demande si, à mérite égal, il ne vaut pas mieux substituer à sa souveraineté celle d'un individu; car disposer législativement sur des objets qui exigent délibération spéciale est chose tout à fait impossible. Aussi ne conteste-t-on pas que pour ces objets-là il faille s'en remettre aux Hommes; on conteste seulement qu'on doive préférer un seul individu à plusieurs; car chacun des magistrats, même isolé, peut, guidé par la loi qui l'a instruit, juger fort équitablement.

Mais il pourrait bien sembler absurde de soutenir qu'un homme, qui n'a pour former son jugement que deux yeux, deux oreilles, qui n'a pour agir que deux pieds et deux mains, puisse mieux faire qu'une réunion d'individus avec des organes bien plus nombreux. Dans l'état actuel, les monarques eux-mêmes sont forcés de multiplier leurs yeux, leurs oreilles, leurs mains, leurs pieds, en partageant le pouvoir avec les amis du pouvoir et avec leurs amis personnels. Si ces agents ne sont pas les amis du monarque, ils n'agiront pas suivant ses intérêts; s'ils sont ses amis, ils agiront dans son intérêt et dans celui de son autorité. Or, l'amitié suppose nécessairement ressemblance, égalité; et si le Roi admet que ses amis doivent partager sa puissance, il admet en même temps que le pouvoir doit être égal entre égaux.
Telles sont à peu près les objections faites contre la royauté.

Les unes sont parfaitement fondées, les autres le sont peut-être moins. Le pouvoir du maître, comme la royauté ou tout autre pouvoir politique, juste et utile, est dans la nature; mais la tyrannie n'y est pas, et toutes les formes corrompues de gouvernement sont tout aussi contraires aux lois naturelles. Ce que nous avons dit doit prouver que, parmi des individus égaux et semblables, le pouvoir absolu d'un seul n'est ni utile ni juste; peu importe que cet homme soit d'ailleurs comme la loi vivante en l'absence de toute loi, ou même en présence des lois, ou qu'il commande à des sujets aussi vertueux ou aussi dépravés que lui, ou bien enfin qu'il soit tout à fait supérieur par son mérite. Je n'excepte qu'un seul cas, et je vais le dire, bien que je l'aie déjà indiqué.

Fixons d'abord ce que signifient pour un peuple les appellations de monarchique, d'aristocratique et de républicain. Un peuple monarchique est celui qui naturellement peut supporter la domination d'une famille douée de toutes les vertus supérieures qu'exige la domination politique. Un peuple aristocratique est celui qui, tout en ayant les qualités nécessaires pour la Constitution politique qui convient à des Hommes libres, peut naturellement supporter l'autorité de chefs que leur mérite appelle à gouverner. Un peuple républicain est celui où naturellement tout le monde est guerrier et sait également obéir et commander, à l'abri d'une loi qui assure à la classe pauvre la part de pouvoir qui lui doit revenir.

Lors donc qu'une race entière, ou même un individu de la masse, vient à briller d'une vertu tellement supérieure qu'elle surpasse la vertu de tous les autres citoyens ensemble, alors il est juste que cette race soit élevée à la royauté, à la suprême puissance, que cet individu soit pris pour Roi. Ceci, je le répète, est juste, non seulement de l'aveu des fondateurs de Constitutions aristocratiques, oligarchiques et même démocratiques, qui ont unanimement reconnu les droits de la supériorité, tout en différant sur l'espèce de supériorité , mais encore par le motif que nous en avons donné plus haut. Il n'est équitable ni de tuer ni de proscrire par l'ostracisme un tel personnage, ni de le soumettre au niveau commun; la partie ne doit pas l'emporter sur le tout, et le tout est ici précisément cette vertu si supérieure à toutes les autres. Il ne reste donc plus que d'obéir à cet homme et de lui reconnaître une puissance, non point alternative, mais perpétuelle.

Nous terminerons ici l'étude de la royauté, après en avoir exposé les espèces diverses, les avantages et les dangers, suivant les peuples auxquels elle s'applique, et avoir étudié les formes qu'elle revêt.





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6.2. Politique - Page 3 Empty La Politique, Livre III, Chapitre douzième

Message par Kaioh Lun 26 Juil 2010 - 19:21

Livre III - Chapitre douzième



Du gouvernement parfait, ou de l'aristocratie.

Des trois Constitutions que nous avons reconnues bonnes, la meilleure doit être nécessairement celle qui a les meilleurs chefs. Tel est l'État où se rencontre par bonheur une grande supériorité de vertu, que d'ailleurs elle appartienne soit à un seul individu à l'exclusion de tous, soit à une race entière, soit même à la multitude; et où les uns savent obéir aussi bien que les autres savent commander, dans l'intérêt du but le plus noble. Il a été démontré précédemment que dans le gouvernement parfait la vertu privée est identique à la vertu politique; il n'est pas moins évident qu'avec les mêmes moyens et les mêmes vertus qui constituent l'Homme de bien, on peut constituer aussi un État entier, aristocratique ou monarchique; d'où il suit que l'éducation et les mœurs qui font l'Homme vertueux sont à peu près les mêmes que celles qui font le citoyen d'une République ou le chef d'une royauté.

Ceci posé, nous essayerons de traiter de la République parfaite, de sa nature, et des moyens de l'établir.





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6.2. Politique - Page 3 Empty La Politique, Livre IV, Chapitre premier

Message par Kaioh Lun 26 Juil 2010 - 19:28

Livre IV - Chapitre premier



Théorie de la République parfaite. Recherche préliminaire de la vie la plus parfaite; division des biens dont l'Homme peut jouir; biens extérieurs, biens de l'âme; supériorité de ces derniers; le bonheur est toujours en proportion de la vertu; les faits et la raison le prouvent.

Quand on veut étudier la question de la République parfaite [¹] [²] avec tout le soin qu'elle exige, il faut préciser d'abord quel est le genre de vie qui mérite surtout notre préférence. Si on l'ignore, on doit nécessairement ignorer aussi quel est le gouvernement par excellence; car il est naturel qu'un gouvernement parfait assure aux citoyens qu'il régit, dans le cours ordinaire des choses, la jouissance du bonheur le plus parfait que comporte leur condition. Ainsi, convenons d'abord quel est le genre de vie qui serait préférable pour tous les Hommes en général ; et nous verrons ensuite s'il est le même, ou s'il est différent, pour la masse et pour l'individu.

Comme nous pensons avoir montré suffisamment, dans nos ouvrages exotériques, ce qu'est la vie la plus parfaite, nous appliquerons ici nos principes.
Un premier point que personne ne saurait contester, parce qu'il est de toute vérité, c'est que les avantages dont l'Homme peut jouir se divisent en trois classes : avantages qui sont en dehors de lui, avantages du corps, avantages de l'âme; le bonheur consiste dans la réunion de tous ces biens. Personne ne serait tenté de croire au bonheur d'un homme qui n'aurait ni courage, ni tempérance, ni justice, ni sagesse, qui tremblerait au vol d'une mouche, qui se livrerait sans réserve à ses appétits grossiers de soif et de faim, qui pour le quart d'une obole serait prêt à trahir ses amis les plus chers, et qui, non moins dégradé en fait d'intelligence, serait déraisonnable et crédule autant qu'un enfant ou un insensé.

On concède sans peine tous ces points, quand on les présente ainsi. Mais dans la pratique, on ne s'accorde, ni sur la mesure, ni sur la valeur relative de ces biens. On se croit toujours assez de vertu pour peu qu'on en ait; mais richesse, fortune, pouvoir, réputation, à tous ces biens-là, on ne veut jamais de bornes, en quelque quantité qu'on les possède.
Aux hommes insatiables, nous dirons qu'ils pourraient ici se convaincre sans peine, par les faits mêmes, que les biens extérieurs, loin de nous acquérir et de nous conserver les vertus, sont au contraire acquis et conservés par elles; que le bonheur, soit qu'on le place dans les jouissances ou dans la vertu, ou bien dans l'un et l'autre à la fois, appartient surtout aux cœurs les plus purs, aux intelligences les plus distinguées, et qu'il est fait pour les hommes modérés dans l'amour de ces biens qui tiennent si peu à nous, plutôt que pour les hommes qui, possédant ces biens extérieurs fort au-delà des besoins, restent pourtant si pauvres des véritables richesses.

Indépendamment des faits, la raison seule suffit à bien démontrer ceci. Les biens extérieurs ont une limite comme tout autre instrument; et les choses qu'on dit si utiles, sont précisément celles dont l'abondance nous embarrasse inévitablement, ou ne nous sert vraiment en rien. Pour les biens de l'âme, au contraire, c'est en proportion même de leur abondance qu'ils nous sont utiles, si toutefois il convient de parler d'utilité dans des choses qui sont avant tout essentiellement belles. En général, il est évident que la perfection suprême de choses que l'on compare, pour connaître la supériorité de l'une sur l'autre, est toujours en rapport direct avec la distance même où sont entre elles ces choses, dont nous étudions les qualités spéciales. Si donc l'âme, à parler d'une manière absolue et même relativement à nous, est plus précieuse que la richesse et que le corps, sa perfection et la leur seront dans une relation analogue. Suivant les lois de la nature, tous les biens extérieurs ne sont désirables que dans l'intérêt de l'âme; et les hommes sages ne doivent les souhaiter que pour elle, tandis que l'âme ne doit jamais être considérée en vue de ces biens.

Ainsi, nous regarderons comme un point parfaitement accordé, que le bonheur est toujours en proportion de la vertu et de la sagesse, et de la soumission à leurs lois, prenant ici pour témoin de nos paroles Dieu lui-même, dont la félicité suprême ne dépend pas de biens extérieurs, mais est toute en lui-même et dans l'essence de sa propre nature. Aussi, la différence du bonheur à la fortune consiste nécessairement, en ce que les circonstances fortuites et le hasard peuvent nous procurer les biens placés en dehors de l'âme, tandis que l'Homme n'est ni juste ni sage au hasard ou par l'effet du hasard. Une conséquence de ce principe, appuyée sur les mêmes raisons, c'est que l'État le plus parfait est en même temps le plus heureux, et le plus prospère. Le bonheur ne peut jamais suivre le vice; l'État non plus que l'Homme ne réussit qu'à la condition de la vertu et de la sagesse; pour l'État, le courage la sagesse, la vertu, se produisent avec la même portée, avec les mêmes formes qu'elles ont dans l'individu; et c'est même parce que l'individu les possède, qu'il est appelé juste, sage et tempérant.

Nous ne pousserons pas plus loin ces idées préliminaires; il nous était impossible de ne point toucher ce sujet; mais ce n'est pas ici le lieu de lui donner tous les développements qu'il comporte; ils appartiennent à un autre ouvrage. Constatons seulement que le but essentiel de la vie pour l'individu isolé, aussi bien que pour l'État en général, c'est d'atteindre à ce noble degré de la vertu de faire tout ce qu'elle ordonne. Quant aux objections qu'on peut adresser à ce principe, nous n'y répondrons point dans la discussion actuelle, comptant les examiner plus tard, s'il subsiste encore des doutes après qu'on nous aura entendu.





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6.2. Politique - Page 3 Empty La Politique, Livre IV, Chapitre sixième

Message par Kaioh Lun 26 Juil 2010 - 19:37

Livre IV - Chapitre sixième



Suite. Des qualités naturelles que doivent avoir les citoyens dans la République parfaite; caractères divers des peuples suivant les climats qu'ils habitent; diversité de leurs institutions politiques. Supériorité incontestable de la race grecque; un peuple doit avoir à la fois intelligence et courage; rôle considérable que joue le cœur dans la vie humaine.

Nous avons déterminé plus haut les limites numériques du corps politique; voyons ici quelles qualités naturelles sont requises dans les membres qui le composent. On peut déjà, s'en faire quelque idée en jetant les yeux sur les cités les plus célèbres de la Grèce, et sur les diverses nations qui se partagent la terre. Les peuples qui habitent les climats froids, même dans l'Europe, sont en général pleins de courage. Mais ils sont certainement inférieurs en intelligence et en industrie; aussi conservent-ils leur liberté; mais ils sont politiquement indisciplinables, et n'ont jamais pu conquérir leurs voisins. En Asie, au contraire, les peuples ont plus d'intelligence, d'aptitude pour les arts; mais ils manquent de cœur, et ils restent sous le joug d'un esclavage perpétuel. La race grecque, qui topographiquement est intermédiaire, réunit toutes les qualités des deux autres. Elle possède à la fois l'intelligence et le courage. Elle sait en même temps garder son indépendance et former de très bons gouvernements, capable, si elle était réunie en un seul État, de conquérir l'univers.

Dans le sein même de la Grèce, les divers peuples présentent entre eux des dissemblances analogues à celles dont nous venons de parler : ici, c'est une seule qualité naturelle qui prédomine; là elles s'harmonisent toutes dans un heureux mélange. On peut dire, sans crainte de se tromper, qu'un peuple doit posséder à la fois intelligence et courage, pour que le législateur puisse le guider aisément à la vertu. Quelques écrivains politiques exigent de leurs guerriers affection pour ceux qu'ils connaissent, et férocité contre les inconnus; c'est le cœur qui produit en nous l'affection, et le cœur est précisément cette faculté de l'âme qui nous fait aimer.

En preuve on pourrait dire que le cœur, quand il croit être dédaigné, s'irrite bien plus contre des amis que contre des inconnus. Archiloque, quand il veut se plaindre de ses amis, s'adresse à son cœur :
"Ô mon cœur, n'est-ce pas un ami qui t'outrage?"
Chez tous les Hommes, le désir de la liberté et celui de la domination partent de ce même principe : le cœur est impérieux et ne sait point se soumettre. Mais les auteurs que j'ai cité plus haut ont tort d'exiger qu'on soit dur envers les étrangers; il ne faut l'être avec personne, et les grandes âmes ne sont jamais intraitables qu'envers le crime; mais, je le répète, elles s'irritent davantage contre des amis, quand elles croient en avoir reçu une injure.

Ce courroux est parfaitement raisonnable; car ici, outre le dommage qu'on peut éprouver, on croit perdre encore une bienveillance sur laquelle on pouvait avoir le droit de compter. De là ces pensées du poète :
"Entre frères la lutte est la plus acharnée.
Et ailleurs :
Qui chérit à l'excès sait haïr à l'excès."

En spécifiant, à l'égard des citoyens, quels doivent être leur nombre, leurs qualités naturelles et en déterminant l'étendue et les conditions du territoire, nous nous sommes bornés à des à-peu-près; mais il ne faut pas exiger, dans de simples considérations théoriques, la même exactitude que dans des observations de faits qui nous sont fournies par les sens.





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6.2. Politique - Page 3 Empty La Politique, Livre IV, Chapitre septième

Message par Kaioh Lun 26 Juil 2010 - 19:59

Livre IV - Chapitre septième



Suite. Des éléments indispensables à l'existence de la Cité; ils sont de six espèces : les subsistances, les arts, les armes, les finances, le sacerdoce, et enfin la gestion des intérêts généraux et la décision des jugements; sans ces éléments, la Cité ne peut subsister et être indépendante.

De même que, dans les autres composés que crée la nature, il n'y a point identité entre tous les éléments du corps entier, quoiqu'ils soient essentiels à son existence, de même on peut évidemment ne pas compter parmi les membres de la Vité tous les éléments dont elle a pourtant un besoin indispensable, principe également applicable à toute autre association, qui ne doit se former que d'éléments d'une seule et même espèce. Il faut nécessairement à des associés un point d'unité commune, que leurs portions soient d'ailleurs pareilles ou inégales : les aliments, par exemple, la possession du sol, ou tout autre objet semblable.

Deux choses peuvent être faites l'une pour l'autre, celle-ci comme moyen, celle-là comme but, sans qu'il y ait entre elles rien de commun que l'action produite par l'une et reçue par l'autre. Tel est le rapport, dans un travail quelconque, de l'instrument à l'ouvrier. La maison n'a certainement rien qui puisse devenir commun entre elle et le maçon, et cependant l'art du maçon n'a pas d'autre objet que la maison. Et de même, la Cité a besoin assurément de la propriété; mais la propriété n'est pas le moins du monde partie essentielle de la Cité, bien que la propriété renferme comme éléments des êtres vivants. La Cité n'est qu'une association d'êtres égaux [¹] [²], recherchant en commun une existence heureuse et facile [¹] [²] [³].

Mais comme le bonheur est le bien suprême, comme il réside dans l'exercice et l'application complète de la vertu, et que, dans l'ordre naturel des choses, la vertu est fort inégalement répartie entre les Hommes, car quelques-uns en ont fort peu et en sont même tout à fait dénués, c'est évidemment là qu'il faut chercher la source des différences et des divisions entre les gouvernements. Chaque peuple, poursuivant le bonheur et la vertu par des voies diverses, organise aussi sa vie et l'État, sur des bases qui ne le sont pas moins.
Voyons donc combien d'éléments sont indispensables à l'existence de la Cité; car la Cité résidera nécessairement dans ceux à qui nous reconnaîtrons ce caractère.

Énumérons les choses elles-mêmes afin d'éclaircir la question : d'abord les subsistances, puis les arts, tous objets indispensables à la vie, qui a besoin de bien des instruments; puis les armes, dont l'association ne peut se passer, pour appuyer l'autorité publique dans son propre sein contre les factieux, et pour repousser les ennemis du dehors qui peuvent l'assaillir; en quatrième lieu, une certaine abondance de richesses, tant pour les besoins intérieurs que pour les guerres; en cinquième lieu, et j'aurais pu placer ceci en tête, le culte divin ou, comme on l'appelle, le sacerdoce; enfin, et c'est ici l'objet sans contredit le plus important, la décision des intérêts généraux et des procès individuels.

Telles sont les choses dont la Cité, quelle qu'elle soit, ne peut absolument point se passer. L'agrégation qui constitue la Cité n'est pas une agrégation quelconque; mais, je le répète, c'est une agrégation d'Hommes pouvant satisfaire à tous les besoins de leur existence. Si l'un des éléments énumérés plus haut vient à manquer, il est dès lors radicalement impossible que l'association se suffise à elle-même. L'État exige impérieusement toutes ces fonctions diverses; il lui faut donc des laboureurs qui assurent la subsistance des citoyens; il lui faut des artisans, des guerriers, des gens riches, des pontifes et des magistrats, pour veiller à ses besoins et à ses intérêts.





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6.2. Politique - Page 3 Empty La Politique, Livre IV, Chapitre huitième

Message par Kaioh Lun 26 Juil 2010 - 20:06

Livre IV - Chapitre huitième



Suite. Réduction des éléments politiques de la Cité à deux seulement dans le gouvernement parfait; les citoyens sont uniquement ceux qui portent les armes et qui ont droit de voter à l'assemblée publique; exclusion de tous les artisans; les biens-fonds ne doivent appartenir qu'aux citoyens; parmi les citoyens, les armes doivent être remises à la jeunesse, les fonctions politiques à l'âge mur, et le sacerdoce aux vieillards.

Après avoir ainsi posé les principes, nous avons encore à examiner si toutes ces fonctions doivent appartenir sans distinction à tous les citoyens. Trois choses ici sont possibles : ou tous les citoyens seront à la fois et indistinctement laboureurs, artisans, Juges et membres de l'assemblée délibérante; ou bien chaque fonction aura ses hommes spéciaux; ou enfin les unes appartiendront nécessairement à quelques citoyens en particulier, les autres appartiendront à la masse. La promiscuité des fonctions ne peut convenir à tout État indistinctement. Nous avons déjà dit [¹] [²] qu'on pouvait supposer diverses combinaisons, admettre et ne pas admettre tous les citoyens à tous les emplois, et qu'on pouvait conférer certaines fonctions par privilège. C'est même là ce qui constitue la dissemblance des gouvernements. Dans les démocraties, tous les droits sont communs; c'est le contraire dans les oligarchies.

Le gouvernement parfait que nous cherchons est précisément celui qui assure au corps social la plus large part de bonheur. Or le bonheur, avons-nous dit, est inséparable de la vertu; ainsi, dans cette République parfaite où la vertu des citoyens sera réelle, dans toute l'étendue du mot, et non point relativement à un système donné, ils s'abstiendront soigneusement de toute profession mécanique, de toute spéculation mercantile, travaux dégradés et contraires à la vertu. Ils ne se livreront pas davantage à l'agriculture; il faut du loisir pour acquérir la vertu et pour s'occuper de la chose publique.

Reste encore la classe des guerriers; et la classe qui délibère sur les affaires de l'État et juge les procès. Ces deux éléments-là surtout semblent devoir constituer essentiellement la Cité. Les deux ordres de fonctions qui les concernent, seront-ils remis à des mains séparées, ou réunis dans les mêmes mains? À cette question aussi, la réponse est évidente; ils doivent être séparés jusqu'à un certain point, et jusqu'à un certain point réunis : séparés, parce qu'ils se rapportent à des âges différents, et qu'il faut, ici de la prudence, là de la vigueur; réunis, parce qu'il est impossible que des gens qui ont la force en main et qui peuvent en user, se résignent à une soumission éternelle. Les citoyens armés sont toujours les maîtres de maintenir ou de renverser le gouvernement

Il n'y a donc qu'à confier toutes ces fonctions aux mêmes mains, mais seulement à des époques différentes de la vie, et comme l'indique la nature elle-même; puisque la vigueur appartient à la jeunesse, et la prudence à l'âge mûr, qu'on partage les attributions d'après ce principe aussi utile qu'équitable, et qui repose sur la diversité même des mérites.

C'est aussi à ces deux classes que les biens-fonds doivent appartenir; car nécessairement l'aisance doit être acquise aux citoyens, et ceux-là le sont essentiellement. Quant à l'artisan, il n'a pas de droits politiques, non plus que toute autre classe étrangère aux nobles occupations de la vertu. C'est une conséquence évidente de nos principes. Le bonheur réside exclusivement dans la vertu; et pour dire d'une Cité qu'elle est heureuse, il faut tenir compte non pas de quelques-uns de ses membres, mais de tous les citoyens sans exception. Ainsi, les propriétés appartiendront en propre aux citoyens; et les laboureurs seront nécessairement ou des esclaves, ou des barbares, ou des serfs.

Enfin parmi les éléments de la Cité, reste l'ordre des pontifes, dont la position est bien marquée dans l'État. Un laboureur, un ouvrier ne peut jamais arriver aux fonctions du pontificat; c'est aux citoyens seuls qu'appartient le service de Dieu; or le corps politique est divisé en deux parties, l'une guerrière, l'autre délibérante; mais comme il est à la fois convenable et qu'on rende un culte à la Divinité, et qu'on assure le repos aux citoyens épuisés par l'âge, c'est à ceux-là qu'il faut remettre le soin du sacerdoce.

Tels sont donc les éléments indispensables à l'existence de l'État, les parties réelles de la Cité. Elle ne peut d'une part se passer de laboureurs, d'artisans et de mercenaires de tout genre; mais d'autre part, la classe guerrière et la classe délibérante sont les seules qui la composent politiquement. Ces deux grandes divisions de l'État se distinguent encore entre elles, l'une par la perpétuité, l'autre par l'alternative des fonctions.





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6.2. Politique - Page 3 Empty La Politique, Livre IV, Chapitre neuvième

Message par Kaioh Lun 26 Juil 2010 - 20:14

Livre IV - Chapitre neuvième



Suite. Antiquité de certaines institutions politiques, et spécialement de la division par castes et des repas communs; exemples de l'Égypte, de la Crète et de l'Italie; de la division des propriétés dans la République parfaite; du choix des esclaves.

Ce n'est point du reste, en philosophie politique, une découverte contemporaine ni même récente, que cette division nécessaire des individus en classes distinctes, les guerriers d'un côté, les laboureurs de l'autre. Elle existe encore aujourd'hui en Égypte et en Crète, instituée là, dit-on, par les lois de Sésostris, ici par celles de Minos.

L'établissement des repas communs n'est pas moins antique, et remonte pour la Crète au règne de Minos, et pour l'Italie, à une époque encore plus reculée. Les savants de ce dernier pays assurent que c'est d'un certain Italus, devenu Roi de l'Œnotrie, que les Œnotriens ont changé leur nom en celui d'Italiens, et que le nom d'Italie fut donné à toute cette partie des rivages d'Europe comprise entre les golfes Scyllétique et Lamétique, distants l'un de l'autre d'une demi-journée de route

On ajoute qu'Italus rendit agriculteurs les Œnotriens auparavant nomades, et que, parmi d'autres institutions, il leur donna celle des repas communs. Aujourd'hui même il y a des cantons qui ont conservé cette coutume, avec quelques-unes des lois d'Italus. Elle existait chez les Opiques, habitants des rivages de la Tyrrhénie, et qui portent encore leur ancien surnom d'Ausoniens; on la retrouve chez les Choniens, qui occupent le pays nommé Syrtis, sur les côtes de l'Iapygie et du golfe Ionique. On sait d'ailleurs que les Choniens étaient aussi d'origine œnotrienne.

Les repas communs ont donc pris naissance en Italie. La division des citoyens par classes vient d'Égypte, et le règne de Sésostris est bien antérieur à celui de Minos. On doit croire du reste que, dans le cours des siècles, les Hommes ont dû imaginer ces institutions et bien d'autres; plusieurs fois, ou, pour mieux dire, une infinité de fois. D'abord le besoin même a nécessairement suggéré les moyens de satisfaire les premières nécessités; et ce fonds une fois acquis, les perfectionnements et l'abondance ont dû, selon toute apparence, se développer dans le même rapport; c'est donc une conséquence fort logique que de croire cette loi également applicable aux institutions politiques.

Tout à cet égard est bien vieux; l'Égypte est là pour le prouver. Personne ne contestera sa prodigieuse antiquité, et de tout temps elle a possédé des lois et une organisation politique. Il faut donc suivre nos prédécesseurs partout où ils ont bien fait, et ne songer à l'innovation que là où ils nous ont laissé des lacunes à remplir.

Nous avons dit que les biens-fonds appartenaient de droit à ceux qui possèdent les armes et les droits politiques; et nous avons ajouté, en déterminant les qualités et l'étendue du territoire, que les laboureurs devaient former une classe séparée de celle-là. Nous parlerons ici de la division des propriétés, du nombre et de l'espèce des laboureurs. Nous avons déjà rejeté la communauté des terres admise par quelques auteurs; mais nous avons déclaré que la bienveillance des citoyens entre eux devait en rendre l'usage commun, pour que tous fussent assurés au moins de leur subsistance. On regarde généralement l'établissement des repas communs comme parfaitement profitable à tout État bien constitué. Nous dirons plus tard [¹] [²] pourquoi nous adoptons aussi ce principe; mais il faut que tous les citoyens sans exception viennent y prendre place; et c'est chose difficile que les pauvres, en y apportant la part fixée par la loi, puissent en outre subvenir à tous les autres besoins de leur famille.

Les frais du culte divin sont encore une charge commune de la Cité. Ainsi donc, le territoire doit être divisé en deux portions, l'une au public, l'autre aux particuliers; et toutes deux seront subdivisées en deux autres. La première portion sera subdivisée pour four­nir à la fois, et aux dépenses du culte et à celles des repas communs. Quant à la seconde, on la divisera pour que chaque citoyen possédant quelque chose en même temps, et sur la frontière et aux environs de la Cité, soit intéressé également à la défense des deux localités.

Cette répartition, équitable en elle-même, assure l'égalité des citoyens, et leur union plus intime contre les ennemis communs qui les avoisinent. Partout où elle n'est pas établie, les uns s'inquiètent fort peu des hostilités qui désolent la frontière; les autres les redoutent avec une honteuse pusillanimité. Aussi, dans quelques États, la loi exclut les propriétaires de la frontière de toute délibération sur les agressions ennemies qui les atteignent, comme trop directement intéressés pour être bons Juges. Tels sont les motifs qui doivent faire partager le territoire comme nous venons de le dire.

Quant à ceux qui le doivent cultiver, si l'on a le choix, il faut prendre surtout des esclaves, et avoir soin qu'ils ne soient pas tous de la même nation, et surtout qu'ils ne soient pas belliqueux. Avec ces deux conditions, ils seront excellents pour accomplir leur travail et ne songeront point à s'insurger. Ensuite, à ces esclaves il faut joindre quelques barbares à l'état de serfs, et qui présenteront les mêmes qualités que les esclaves. Sur les terres particulières, ils appartiendront au propriétaire; sur les terres publiques, ils seront à l'État. Nous dirons plus loin comment il faut agir avec les esclaves, et pourquoi l'on doit toujours leur présenter la liberté comme le prix de leurs travaux.





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6.2. Politique - Page 3 Empty La Politique, Livre IV, Chapitre dixième

Message par Kaioh Lun 26 Juil 2010 - 20:51

Livre IV - Chapitre dixième



Suite. De la position de la Cité; conditions qu'il faut rechercher, la salubrité, les eaux; des fortifications de la Cité; il lui faut des murailles qui puissent aider au courage de ses habitants; fausses théories répandues à ce sujet; les progrès de l'art des sièges exigent que les Cités sachent se défendre aussi habilement qu'on les attaque.

Nous ne répéterons pas pourquoi la Cité doit être à la fois continentale et maritime, et en rapport, autant que possible, avec tous les points du territoire; nous l'avons dit plus haut. Quant à la position prise en elle-même, quatre choses surtout sont à considérer. La première et la plus importante, c'est la salubrité; l'exposition au levant et aux vents qui soufflent de ce côté est la plus saine de toutes; l'exposition au midi vient en second lieu, et elle a cet avantage que le froid y est plus supportable durant l'hiver.

À d'autres égards, l'assiette de la ville doit être également choisie en vue des occupations intérieures qu'y ont les citoyens, et des attaques qu'elle peut avoir à supporter. Il faut qu'en cas de guerre, les habitants puissent aisément en sortir, et que les ennemis aient autant de peine à y entrer qu'à en faire le blocus. La Cité doit avoir dans ses murs des eaux et des sources naturelles en quantité; et à leur défaut, il convient de creuser de vastes et nombreuses citernes, destinées à garder les eaux pluviales, pour qu'on ne manque point d'eau, dans le cas où, durant la guerre, les communications avec le pays viendraient à être coupées.

Comme la première condition c'est la santé pour les habitants, et qu'elle résulte d'abord de l'exposition et de la situation de la ville telle que nous l'avons dite, et en second lieu de l'usage d'eaux salubres, ce dernier point exige aussi la plus sérieuse attention. Les choses dont l'action s'exerce sur le corps le plus fréquemment et le plus largement, ont aussi le plus d'influence sur la santé; et telle est précisément l'action naturelle de l'air et des eaux. Aussi partout où les eaux naturelles ne seront ni également bonnes ni également abondantes, il sera sage de séparer les eaux potables de celles qui peuvent suffire aux usages ordinaires.

Quant aux lieux de défense, la nature et l'utilité de l'emplacement varient suivant les Constitutions. Une ville haute convient à l'oligarchie et à la monarchie; la démocratie préfère une plaine. L'aristocratie rejette toutes ces positions, et s'accommode plutôt de quelques hauteurs fortifiées. Quant à la disposition des habitations particulières, elle paraît plus agréable et généralement plus commode, si elles sont bien alignées à la moderne et d'après le système d'Hippodamus. L'ancienne méthode avait, au contraire, l'avantage d'être plus sûre en cas de guerre; les étrangers, une fois engagés dans la ville, pouvaient difficilement en sortir, et l'entrée ne leur avait pas coûté moins de peine.

Il faut combiner ces deux systèmes, et l'on fera bien d'imiter ce que nos cultivateurs nomment des quinconces dans la culture des vignes. On alignera donc la ville seulement dans quelques parties, dans quelques quartiers, et non dans toute sa superficie; et l'on réunira par là l'élégance et la sûreté. Enfin, quant aux remparts, ceux qui n'en veulent point d'autres pour les cités que la valeur des habitants, sont dupes d'un vieux préjugé, bien que les faits aient sous leurs yeux hautement démenti les cités qui s'étaient fait ce singulier point d'honneur.

Il y aurait peu de bravoure à ne se défendre, contre des ennemis égaux ou peu supérieurs en nombre, qu'à l'abri de ses murailles; mais on a vu et l'on peut voir fort bien encore les assaillants arriver en masse, sans que la valeur surhumaine d'une poignée de braves puisse les repousser. Pour se mettre donc en garde contre des revers et des désastres, pour échapper à une défaite certaine, les moyens les plus militaires sont les fortifications les plus inexpugnables, surtout aujourd'hui où l'art des sièges, avec ses traits et ses terribles machines, a fait tant de progrès.

Refuser des remparts aux villes serait aussi peu sensé que de choisir un pays ouvert, ou d'en niveler toutes les hauteurs; autant vaudrait défendre d'entourer de murs les maisons particulières, de peur d'inspirer de la lâcheté aux habitants. Mais il faut bien se persuader que, quand on a des remparts, on peut à volonté s'en servir ou ne pas s'en servir; et que dans une ville ouverte on n'a point le choix.

Si nos réflexions sont justes, il faut non seulement entourer la ville de remparts, mais il faut, tout en en faisant un ornement, les rendre capables de résister à tous les systèmes d'attaque, et surtout à ceux de la tactique moderne. L'attaque ne néglige aucun moyen de succès; la défense de son côté doit chercher, méditer et inventer de nouvelles ressources; et le premier avantage d'un peuple qui est bien sur ses gardes, c'est qu'on songe beaucoup moins à l'attaquer. Mais comme il faut pour les repas communs partager les citoyens en plusieurs sections, et que les murailles aussi doivent, de distance en distance, et aux endroits les plus convenables, avoir des tours et des corps de garde, il est clair que ces tours seront naturellement destinées à recevoir les réunions de citoyens pour les repas communs.

Tels sont les principes qu'on peut adopter relativement à la position de la Cité et à l'utilité des remparts.





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6.2. Politique - Page 3 Empty La Politique, Livre IV, Chapitre onzième

Message par Kaioh Mar 27 Juil 2010 - 18:15

Livre IV - Chapitre onzième



Suite. Des édifices consacrés au culte dans la République parfaite; des repas communs des magistrats; des places publiques et des gymnases; de la police de la ville; la police des champs doit être organisée à peu près de la même façon.

Les édifices consacrés aux cérémonies religieuses seront aussi splendides qu'ils doivent l'être, et serviront à la fois aux repas solennels des principaux magistrats et à l'accomplissement de tous les rites que la loi ou un oracle de la Pythie n'a pas rendus secrets. Ce lieu, qu'on apercevra de tous les quartiers environnants, qu'il doit dominer, sera tel que l'exige la dignité des personnages qu'il recevra.

Au bas de l'éminence où sera situé l'édifice, il sera convenable de trouver la place publique, disposée comme celle qu'on nomme en Thessalie la Place de la Liberté. Cette place ne sera jamais souillée de marchandises, et l'entrée en sera défendue aux artisans, aux laboureurs et à tout autre individu de cette classe, à moins que le magistrat ne les y appelle formellement. Il faut aussi que l'aspect de ce lieu soit agréable, puisque c'est là que les hommes d'un âge mûr se livreront aux exercices gymnastiques; car on doit, même à cet égard, séparer les âges divers. Quelques magistrats assisteront aux jeux de la jeunesse, de même que les hommes mûrs iront assister parfois à ceux des magistrats. Se sentir sous l'oeil du magistrat inspire la véritable pudeur, et la crainte qui sied au coeur de l'Homme libre. Loin de cette place, et bien séparée d'elle, sera celle qui est destinée au marché; le lieu sera d'un facile accès à tous les transports venant de la mer ou de l'intérieur du pays.

Puisque le corps des citoyens se partage en pontifes et en magistrats, il est convenable que les repas communs des pontifes aient lieu dans le voisinage des édifices consacrés. Quant aux magistrats chargés de prononcer sur les contrats, sur les actions criminelles et civiles, et sur toutes les affaires de ce genre, ou bien chargés de la surveillance des marchés et de ce qu'on nomme la police de la ville, le lieu de leurs repas doit être situé près de la place publique et d'un quartier fréquenté. Le voisinage de la place du marché, où se font toutes les transactions, sera surtout convenable à cet effet. Quant à l'autre place dont nous avons parlé plus haut, elle doit jouir toujours d'un calme absolu; celle-ci, au contraire, sera destinée à toutes les relations matérielles et indispensables.

Toutes les divisions urbaines que nous venons d'énumérer, devront aussi se répéter dans les cantons ruraux. Là, les magistrats, qu'on les appelle, ou conservateurs des forêts, ou inspecteurs des campagnes, auront aussi des corps de garde pour la surveillance, et des repas communs. Dans les campagnes également, seront répartis quelques temples, consacrés les uns à Dieu, les autres aux héros.

Il est du reste inutile de nous arrêter à des détails plus précis sur cet objet : ce sont là des choses très faciles à imaginer, quoiqu'elles le soient beaucoup moins à mettre en pratique. Pour le dire, il suffit de se laisser aller à son désir; mais il faut l'appui de la fortune pour les exécuter. Aussi, nous nous contenterons de ce que nous avons exposé sur ce sujet.





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6.2. Politique - Page 3 Empty La Politique, Livre IV, Chapitre douzième

Message par Kaioh Mar 27 Juil 2010 - 18:25

Livre IV - Chapitre douzième



Suite. Des qualités que les citoyens doivent avoir dans la République parfaite; conditions générales du bonheur; influence de la nature, des habitudes et de la raison; union nécessaire de ces trois conditions pour constituer le bonheur de l'individu et de la Cité; il faut supposer qu'elles se réunissent dans la Cité parfaite.

Examinons maintenant ce que sera la Constitution elle-même, et quelles qualités doivent posséder les membres qui composent la Cité pour que le bonheur et l'ordre de l'État soient parfaitement assurés. Le bonheur en général ne s'obtient qu'à deux conditions : l'une, que le but, la fin qu'on se propose, soit louable; la seconde, qu'on puisse accomplir les actes qui y conduisent. Il est également possible, et que ces deux conditions se rencontrent, et qu'elles ne se rencontrent point. Parfois le but est excellent, et l'on ne possède pas les moyens propres à l'atteindre; parfois on a toutes les ressources nécessaires pour y arriver, et le but est mauvais; enfin on peut se tromper tout à la fois sur le but et sur les moyens; témoin la médecine : tantôt elle ne sait pas juger comme il faut du remède qui doit guérir le mal; tantôt elle ne possède pas les moyens nécessaires à la guérison qu'elle se propose. Dans tous les arts, dans toutes les sciences, il faut donc que le but et les moyens qui peuvent y conduire soient également bons et forts.

Il est clair que tous les Hommes souhaitent la vertu et le bonheur; mais y atteindre est permis aux uns et interdit aux autres; et c'est un effet, soit des circonstances, soit de la nature. La vertu ne s'obtient qu'à certaines conditions, faciles à réunir pour les individus heureusement placés, plus difficiles pour les individus moins favorisés; et l'on peut, même avec toutes les facultés requises, s'égarer dans la route dès les premiers pas. Puisque nos recherches ont pour objet la meilleure Constitution, source de l'administration parfaite de l'État, et que cette administration parfaite est celle qui assurera la plus grande somme de bonheur à tous les citoyens, il nous faut nécessairement savoir en quoi consiste le bonheur.

Nous l'avons dit dans notre Morale, si toutefois il nous est permis de croire que cet ouvrage n'est pas dénué de toute utilité : le bonheur est un développement et une application complète de la vertu, non pas relative, mais absolue. J'entends par relative, la vertu appliquée aux besoins nécessaires de la vie; par absolue, celle qui s'applique uniquement au beau et au bien. Ainsi, en fait de justice humaine, la punition et le juste châtiment du coupable sont des actes de vertu; mais c'est aussi un acte de nécessité, c'est-à-dire qu'il n'est bon que parce qu'il est nécessaire; pourtant il serait certainement préférable que les individus et l'État puissent se passer de pénalité. Les actes, au contraire, qui n'ont pour objet que la gloire et le perfectionnement moral, sont beaux dans le sens absolu. De ces deux ordres d'actes, le premier tend simplement à nous délivrer d'un mal; le second, tout au contraire, prépare et opère directement le bien.

L'homme vertueux peut savoir noblement supporter la misère, la maladie et tant d'autres maux; mais le bonheur n'en consiste pas moins dans les contraires. Dans la Morale encore, nous avons défini l'homme vertueux : l'homme qui, par sa vertu, ne prend pour des biens que les biens absolus; et il n'est pas besoin d'ajouter qu'il doit aussi savoir faire de ces biens-là un emploi absolument beau, absolument honnête. De là même est venue cette opinion vulgaire, que le bonheur dépend des biens extérieurs. Autant vaudrait attribuer un jeu savant sur la lyre à l'instrument lui-même plutôt qu'au talent de l'artiste.

De ce que nous venons de dire, il résulte évidemment que le législateur doit trouver à l'avance certains éléments de son oeuvre, mais qu'il peut aussi en préparer lui-même quelques-uns.
Aussi nous a-t-il fallu supposer à l'État tous les éléments dont le hasard seul dispose; car nous avons admis que le hasard était parfois le seul maître des choses; mais ce n'est pas lui qui assure la vertu de l'État; c'est la volonté intelligente de l'Homme. L'État n'est vertueux que lorsque tous les citoyens qui font partie du gouvernement sont vertueux; et l'on sait qu'à notre avis, tous les citoyens doivent prendre part au gouvernement de l'État. Cherchons donc comment on forme les Hommes à la vertu. Certes, si cela était possible, il serait préférable de les y former tous en même temps, sans s'occuper des individus un à un : mais la vertu générale n'est que le résultat de la vertu de tous les particuliers.

Quoi qu'il en soit, trois choses peuvent rendre l'Homme bon et vertueux : la nature, l'habitude et la raison. Ainsi d'abord, il faut que la nature nous fasse naître de la race humaine, et non de telle autre espèce d'animaux; il faut ensuite qu'elle accorde certaines qualités d'âme et de corps. De plus, les dons de la nature ne suffisent pas; les qualités naturelles se modifient suivant les mœurs, et elles en peuvent recevoir une double influence qui les pervertit ou qui les améliore.

Presque tous les animaux ne sont soumis qu'à l'empire de la nature; quelques espèces en petit nombre sont encore soumises à l'empire des habitudes; l'Homme est le seul qui joigne la raison aux mœurs et à la nature. Il faut que ces trois choses concordent entre elles; et souvent la raison combat la nature et les mœurs, quand elle croit meilleur de secouer leurs lois. Nous avons déjà dit à quelles conditions les citoyens peuvent offrir une matière facile à l'œuvre du législateur; le reste est l'affaire de l'éducation, qui agit par les habitudes et par les leçons des maîtres.





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6.2. Politique - Page 3 Empty La Politique, Livre IV, Chapitre treizième

Message par Kaioh Mar 27 Juil 2010 - 18:39

Livre IV - Chapitre treizième



Suite. De l'égalité et de la différence des citoyens dans la Cité parfaite; subordination naturelle des âges divers. Les occupations de la paix sont la vie véritable de la Cité; il faut savoir user convenablement du repos; la culture de la raison doit être le principal objet que l'Homme se propose dans la vie; et le législateur, dans l'éducation des citoyens.

L'association politique étant toujours composée de chefs et de subordonnés, je demande si l'autorité et l'obéissance doivent être alternatives ou viagères. Il est clair que le système de l'éducation devra se rapporter à ces grandes divisions des citoyens entre eux. Si quelques hommes l'emportaient sur les autres hommes autant que, selon la croyance commune, Dieu et les héros peuvent différer des mortels, à l'égard du corps, qu'un coup d'œil suffit pour juger, et même à l'égard de l'âme, de telle sorte que la supériorité des chefs fût aussi incontestable et aussi évidente pour les sujets, nul doute qu'il ne fallût préférer la perpétuité de l'obéissance [¹] [²] pour les uns, et du pouvoir pour les autres.

Mais ces dissemblances sont choses fort difficiles à constater; et il n'en est point du tout ici comme pour ces Rois de l'Inde qui, selon Scylax, l'emportent si complètement sur les sujets qui leur obéissent. Il est donc évident que, par bien des motifs, l'alternative de l'autorité et de la soumission doit nécessairement être commune à tous les citoyens. L'égalité est l'identité d'attributions entre des êtres semblables, et l'État ne saurait vivre contre les lois de l'équité; les factieux que le pays renferme toujours trouveraient de constants appuis dans les sujets mécontents, et les membres du gouvernement ne sauraient jamais être assez nombreux pour résister à tant d'ennemis réunis.

Cependant, il est incontestable qu'il doit y avoir une différence entre les chefs et les subordonnés. Quelle sera cette différence, et quelle sera la répartition du pouvoir? Telles sont les questions que doit résoudre le législateur. Nous l'avons déjà dit : c'est la nature elle-même qui a tracé la ligne de démarcation, en créant dans une espèce identique les classes des jeunes et des vieux, les uns destinés à obéir, les autres capables de commander. Une autorité conférée par l'âge ne peut irriter la jalousie, ni enfler la vanité de personne, surtout lorsque chacun est assuré d'obtenir avec les années la même prérogative.

Ainsi, l'autorité et l'obéissance doivent être à la fois perpétuelles et alternatives; et par suite, l'éducation doit être à la fois pareille et diverse, puisque, de l'aveu de tout le monde, l'obéissance est la véritable école du commandement. Or l'autorité, avons-nous dit plus haut [¹] [²], peut être ou dans l'intérêt de celui qui la possède, ou bien dans l'intérêt de celui sur qui elle s'exerce. Dans le premier cas, c'est l'autorité d'un maître sur ses esclaves; dans le second, c'est une autorité appliquée à des Hommes libres.

De plus, les ordres peuvent autant différer par le motif qui les a dictés que par les résultats mêmes qu'ils produisent. Bien des services réputés exclusivement domestiques, sont faits pour honorer les jeunes gens libres qui les accomplissent. Le mérite ou le vice d'une action est bien moins dans cette action elle-même que dans les motifs qui l'inspirent et le but qu'elle poursuit.
Nous avons établi que la vertu du citoyen, quand il commande, est identique à la vertu de l'Homme parfait, et nous avons ajouté que le citoyen devait d'abord obéir avant de commander; nous en concluons ici que c'est au législateur de former les citoyens à la vertu, en connaissant et les moyens de les y mener, et le but essentiel de la vie la meilleure.

L'âme se compose de deux parties : l'une qui possède par elle-même la raison, l'autre qui, sans la posséder, est du moins capable de lui obéir; à l'une et à l'autre, appartiennent les vertus qui constituent l'Homme de bien. Cette division une fois admise telle que nous la proposons, on peut dire sans peine laquelle entre ces deux parties de l'âme, renferme le but même que l'on doit poursuivre; car toujours un objet moins bon est fait en vue d'un objet meilleur; c'est chose non moins évidente dans les produits de l'art que dans ceux de la nature; et ici l'objet le meilleur, c'est la partie raison­nable de l'âme.

En adoptant dans cette recherche notre procédé ordinaire d'analyse, on peut diviser la raison en deux autres parties, raison pratique et raison spéculative. Par une conséquence nécessaire, la division que nous appliquons à cette partie de l'âme s'applique également aux actes qu'elle produit; et si l'on pouvait choisir, il faudrait préférer les actes de la partie naturellement supérieure, soit dans tous les cas, soit dans un cas unique où les deux parties de l'âme seraient en présence; car en toutes choses il faut toujours préférer ce qui mène au but le plus élevé.

La vie se partage, quelle qu'elle soit, en travail et repos, en guerre et paix. Parmi les actes humains, les uns se rapportent au nécessaire, à l'utile; les autres se rapportent uniquement au beau. Une distinction toute pareille doit, à ces divers égards, se retrouver nécessairement dans les parties de l'âme et dans leurs actes : la guerre ne se fait qu'en vue de la paix; le travail ne s'accomplit qu'en vue du repos; on ne recherche le nécessaire et l'utile qu'en vue du beau.

En tout ceci, l'homme d'État doit régler ses lois sur les deux parties de l'âme et sur leurs actes, mais surtout sur la fin la plus relevée qu'elles puissent toutes deux atteindre. Des distinctions pareilles s'appliquent aux diverses carrières, aux diverses occupations de la vie pratique. Il faut être également prêt au travail et au combat; mais le loisir et la paix sont préférables; il faut savoir accomplir le nécessaire et l'utile; cependant le beau est supérieur à l'un et à l'autre. Ce sont donc là des directions qu'il convient de donner aux citoyens, dès leur enfance, et pendant tout le temps qu'ils restent soumis à des maîtres.

Les gouvernements qui semblent aujourd'hui les meilleurs de la Grèce, comme les législateurs qui les ont fondés, ne paraissent point avoir rapporté leurs institutions à une fin supérieure, ni dirigé leurs lois et l'éducation publique vers l'ensemble des vertus; mais ils ont incliné assez peu noblement à celles qui semblent devoir être utiles et plus capables de satisfaire l'ambition. Des auteurs plus récents ont soutenu à peu près les mêmes opinions; et ils ont admiré hautement la Constitution de Lacédémone, et loué le fondateur qui l'a tournée tout entière vers la conquête et la guerre.

La raison suffit aisément à condamner ces principes, comme les faits eux-mêmes [¹] [²] [³], accomplis sous nos yeux, se sont chargés d'en prouver la fausseté. Partageant le sentiment qui pousse les Hommes en général à la conquête, en vue des bénéfices de la victoire, Thibron et tous ceux qui ont écrit sur le gouvernement de Lacédémone, semblent porter aux nues son illustre législateur, parce que, grâce au mépris de tous les périls, sa République a su se faire une vaste domination.

Mais, à cette heure, que la puissance spartiate est détruite, tout le monde convient que Lacédémone n'est point heureuse, ni son législateur irréprochable. N'est-il pas extraordinaire, cependant, que conservant les institutions de Lycurgue, et pouvant sans obstacle les suivre à son gré, elle ait perdu toute sa félicité? Mais c'est qu'on se trompe aussi sur la nature de la puissance que l'homme politique doit s'efforcer de mettre en honneur. Commander à des Hommes libres vaut bien mieux, et est bien plus conforme à la vertu, que de commander à des esclaves.

De plus, il ne faut pas croire un État heureux, ni un législateur fort habile, quand ils n'ont songé qu'aux dangereux travaux de la conquête. Avec des principes aussi déplorables, chaque citoyen ne pensera évidemment qu'à usurper le pouvoir absolu dans sa propre patrie, dès qu'il pourra s'en rendre maître; ce dont pourtant Lacédémone n'a pas manqué de faire un crime au Roi Pausanias [¹] [²], que toute sa gloire ne put défendre. De pareils principes et les lois qu'ils dictent, ne sont pas dignes d'un homme d'État; ils sont aussi faux qu'ils sont funestes. Le législateur ne doit déposer dans le cœur des Hommes que des sentiments également bons pour le public et pour les particuliers.

Si l'on s'exerce aux combats, ce doit être non point en vue de soumettre à l'esclavage des peuples qui ne méritent point ce joug ignominieux; mais ce doit être d'abord pour n'être point subjugué soi-même; ensuite, pour ne conquérir le pouvoir que dans l'intérêt des sujets; et enfin, pour ne commander en maître qu'à des Hommes destinés à obéir en esclaves.

Le législateur doit surtout faire en sorte que même ses lois sur la guerre, comme le reste de ses institutions, n'aient en vue que la paix et le repos. Et ici les faits viennent joindre leur témoignage à celui de la raison. La guerre, tant qu'elle dure, a fait le salut de pareils États; mais la victoire, en leur assurant le pouvoir, leur a été fatale; comme l'acier, ils ont perdu leur trempe dès qu'ils ont eu la paix; et la faute en est au législateur, qui n'a point appris la paix à sa Cité.

Puisque le but de la vie humaine est le même pour les masses et pour les individus, et puisque l'Homme de bien et une bonne Constitution se proposent nécessairement une fin pareille, il s'ensuit évidemment que le repos exige des vertus spéciales; car, je le répète, la paix est le but de la guerre, le repos est le but du travail.

Les vertus qui assurent le repos et le bonheur, sont celles qui sont d'usage dans le repos aussi bien que dans le travail. Le repos ne s'obtient que par la réunion de bien des conditions indispensables pour les premiers besoins. L'État, pour jouir de la paix, doit être prudent, courageux et ferme; car le proverbe est bien vrai :
"Point de repos pour les esclaves."
Quand on ne sait pas braver le danger, on devient la proie du premier attaquant.

Il faut donc courage et patience dans le travail; il faut de la philosophie dans le loisir, de la prudence et de la sagesse dans l'une et l'autre de ces deux situations, niais surtout au milieu de la paix et du repos. La guerre donne forcément justice et sagesse à des Hommes qu'enivrent et pervertissent le succès et les jouissances du loisir et de la paix.

On a surtout besoin de justice et de prudence, quand on est au faîte de la prospérité et qu'on jouit de tout ce qui fait l'envie des autres hommes. Il en est comme des sages que les poètes nous représentent dans les îles fortunées : plus leur béatitude est complète, au milieu de tous les biens dont ils sont comblés, plus ils doivent appeler à leur aide la philosophie, la modération et la justice. Ces vertus évidemment ne sont pas moins nécessaires au bonheur et à la vertu de l'État. S'il est honteux de ne point savoir user de la fortune, il l'est surtout de ne pas savoir en user au sein du loisir, et de développer son courage et sa vertu durant les combats, pour montrer une bassesse d'esclave pendant la paix et le repos.

Il ne faut pas entendre la vertu comme l'entendait Lacédémone; ce n'est pas qu'elle ait compris le bien suprême autrement que chacun ne le comprend; mais elle a cru qu'on pouvait surtout l'acquérir par une vertu spéciale, la vertu guerrière. Or, comme il existe des biens supérieurs à ceux que procure la guerre, il est évident aussi que la jouissance de ces biens-là est préférable, sans avoir d'autre objet qu'elle-même, à celle des seconds.

Voyons par quelles voies on pourra gagner ces biens inappréciables.
Nous avons déjà dit que les influences qui s'exercent sur l'âme sont de trois sortes, la nature, les mœurs et la raison. Nous avons aussi précisé les qualités que les citoyens doivent préalablement recevoir de la nature. Il nous reste à rechercher si l'éducation de la raison doit précéder celle des habitudes ; car il faut que ces deux dernières influences soient dans la plus parfaite harmonie, puisque la raison même peut s'égarer en poursuivant le meilleur but, et que les mœurs ne sont pas sujettes à moins d'erreurs.

Ici, comme dans tout le reste, c'est la génération par laquelle tout commence; mais la fin de la génération remonte à une source dont l'objet est tout différent. Dans l'Homme, la vraie fin de la nature c'est la raison et l'intelligence, seuls objets qu'on doit avoir en vue dans les soins appliqués, soit à la génération des citoyens, soit à la formation de leurs mœurs.

De même que l'âme et le corps, avons-nous dit, sont bien distincts, de même l'âme a deux parties non moins différentes : l'une irrationnelle, l'autre douée de raison; elles se produisent sous deux manières d'être diverses : pour la première, l'instinct; pour l'autre, l'intelligence. Si la naissance du corps précède celle de l'âme, la formation de la partie irrationnelle est antérieure à celle de la partie raisonnable. Il est bien facile de s'en convaincre : la colère, la volonté, le désir se manifestent chez les enfants aussitôt après leur naissance; le raisonnement, l'intelligence ne se montrent, dans l'ordre naturel des choses, que beaucoup plus tard. Il faut donc nécessairement s'occuper du corps avant de penser à l'âme; et après le corps, il faut songer à l'instinct, bien qu'en définitive l'on ne forme l'instinct que pour l'intelligence, et que l'on ne forme le corps qu'en vue de l'âme.





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6.2. Politique - Page 3 Empty La Politique, Livre IV, Chapitre quatorzième

Message par Kaioh Mar 27 Juil 2010 - 19:20

Livre IV - Chapitre quatorzième



Suite. De l'éducation des enfants dans la Cité parfaite; soins que le législateur doit donner à la génération; de l'âge des époux; conditions indispensables pour que l'union soit tout ce qu'elle doit être; dangers des unions trop précoces; soins à prendre pour les femmes enceintes; abandon des enfants difformes et en surnombre; avortement; punition de l'infidélité.

Si c'est un devoir du législateur d'assurer dès le principe aux citoyens qu'il élève des corps robustes, ses premiers soins doivent s'attacher aux mariages des parents, et aux conditions de temps et d'individus requises pour les contracter. Ici deux choses sont à considérer, les personnes et la durée probable de leur union, afin que les âges soient toujours dans un rapport convenable, et que les facultés des deux époux ne discordent jamais, le mari pouvant encore avoir des enfants, quand la femme est devenue stérile, ou réciproquement; car ce sont là, dans les unions, des germes de querelles et de mésintelligence.

Ceci importe, en second lieu, pour le rapport des âges entre les parents et les enfants, qui les doivent remplacer. Il ne faut pas qu'il y ait entre les pères et les enfants une excessive différence; car alors la gratitude des enfants, envers des parents trop âgés, est complètement vaine, et les parents ne peuvent assurer à leur famille les secours dont elle a besoin. Il ne faut pas non plus que cette différence des âges soit trop faible; car ce sont d'autres inconvénients non moins graves. Les enfants alors ne se sentent pas plus de respect pour leurs parents que pour des compagnons d'âge; et cette égalité peut causer dans l'administration de la famille des discussions peu convenables.
Mais revenons à notre point de départ, et voyons comment le législateur pourra former presqu'à son gré les corps des enfants dés qu'ils sont engendrés.

Tout ici à peu près repose sur un seul point auquel il faut donner grande attention. Comme la nature a limité la faculté génératrice à l'âge de soixante-dix ans tout au plus tard pour les hommes, et cinquante pour les femmes, c'est en se réglant sur ces époques extrêmes qu'il faut fixer l'âge où peut commencer l'union conjugale.

Les unions prématurées ne sont pas favorables aux enfants qui en sortent. Dans toutes les races d'animaux, les accouplements entre bêtes trop jeunes produisent des rejetons faibles, le plus ordinairement du sexe féminin et de formes très petites. L'espèce humaine est nécessairement soumise à la même loi. On peut s'en convaincre en voyant que, dans tous les pays où les jeunes gens s'unissent ordinairement de trop bonne heure, la race est débile et de petites proportions. Il en résulte un autre danger : les femmes jeunes souffrent bien davantage en couches, et succombent bien plus fréquemment. Aussi, assure-t-on que l'oracle répondit aux Trézéniens qui le consultaient sur les morts multipliées de leurs jeunes femmes, qu'on les mariait trop tôt, «sans penser à la récolte des fruits».

L'union dans un âge plus formé n'est pas moins utile pour assurer la modération des sens. Les femmes qui ont trop tôt senti l'amour, paraissent douées en général d'un excessif tempérament. Pour les hommes, l'usage du sexe durant leur croissance nuit au développement du corps, qui ne cesse d'acquérir de la force qu'à un moment fixé par la nature, au-delà duquel il ne peut plus croître.

On peut donc déterminer l'époque du mariage, à dix-huit ans pour les femmes, et à trente-sept ou un peu moins pour les hommes. Dans ces limites, le moment de l'union sera précisément celui de toute la force; et les époux auront un temps égal pour procréer convenablement, jusqu'à ce que la nature leur ôte la puissance génératrice. Ainsi leur union pourra être féconde, et au moment de toute leur vigueur, si, comme on doit le croire, la naissance des enfants suit immédiatement le mariage, et jusqu'au déclin de l'âge, c'est-à-dire vers soixante-dix ans pour les maris.

Tels sont nos principes sur l'époque et la durée des mariages; quant au moment précis de l'union, nous partageons l'avis de ceux qui, par leur propre expérience toujours heureuse, croient que l'hiver est le temps le plus propice. Il faut consulter aussi ce que les médecins et les naturalistes ont pensé sur la génération. Les premiers pourront dire quelles sont les qualités requises de santé; et les autres apprendront quels vents il convient d'attendre. En général le vent du Nord leur semble préférable à celui du midi.

Nous ne nous arrêterons pas sur les conditions de tempérament les plus favorables dans les parents à la vigueur de leurs fils; ces détails, si l'on approfondissait les choses, ne trouveraient une place convenable que dans un traité d'éducation. Nous pouvons, ici, aborder ce sujet en quelques mots. Le tempérament n'a pas besoin d'être athlétique, ni pour les travaux politiques, ni pour la santé, ni pour la procréation : il ne faut pas non plus qu'il soit valétudinaire et trop incapable de rudes travaux; il faut qu'il tienne le milieu entre ces extrêmes. Le corps doit être rompu aux fatigues, sans pourtant que ces fatigues soient par trop violentes. Il ne doit pas non plus n'être propre qu'à un seul genre d'exercice, comme ceux des athlètes; il doit pouvoir supporter tous les travaux dignes d'un Homme libre. Ces conditions me paraissent également applicables aux femmes et aux hommes.

Les mères, durant la grossesse, veilleront avec soin à leur régime, et se garderont bien d'être inactives et de se nourrir légèrement. Le moyen est facile, et le législateur n'aura qu'à leur prescrire de se rendre chaque jour au temple, pour implorer l'appui de Dieu qui préside aux naissances. Mais si leur corps a besoin d'activité, il faudra conserver au contraire à leur esprit le calme le plus parfait. Les enfants ne ressentent pas moins les impressions de la mère qui les porte, que les fruits ne tiennent du sol qui les nourrit.

Pour distinguer les enfants qu'il faut abandonner, et ceux qu'il faut élever, il conviendra de défendre par une loi de prendre jamais soin de ceux qui naîtront difformes; quant au nombre des enfants, si les mœurs répugnent à l'abandon complet, et qu'au-delà du terme formellement imposé à la population, quelques mariages deviennent féconds, il faudra provoquer l'avortement avant que l'embryon ait reçu le sentiment et la vie. Le crime, ou l'innocence de ce fait, ne dépend absolument que de cette circonstance de sensibilité et de vie.

Mais il ne suffit pas d'avoir précisé l'âge où, pour l'homme et la femme, commencera l'union conjugale, il faut encore déterminer l'époque où la génération devra cesser. Les hommes trop âgés comme les jeunes gens ne produisent que des êtres incomplets de corps et d'esprit, et les enfants des vieillards sont d'une faiblesse irrémédiable. Que l'on cesse d'engendrer au moment même où l'intelligence a acquis tout son développement; et cette époque, si l'on s'en rapporte au calcul de quelques poètes, qui mesurent la vie par septénaires, coïncide généralement avec la cinquantaine. Ainsi, qu'on renonce à procréer des enfants quatre ou cinq ans au plus après ce terme; et qu'on ne prenne encore les plaisirs de l'amour que par des motifs de santé ou par des considérations non moins fortes.

Quant à l'infidélité, de quelque part qu'elle vienne, à quelque degré qu'elle soit poussée, il faut en faire un objet de déshonneur, tant qu'on est époux de fait ou de nom; et si la faute est constatée durant le temps fixé pour la fécondité, qu'elle soit punie d'une peine infamante avec toute la sévérité qu'elle mérite.





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6.2. Politique - Page 3 Empty La Politique, Livre IV, Chapitre quinzième

Message par Kaioh Lun 9 Aoû 2010 - 21:04

Livre IV - Chapitre quinzième



Suite. De l'éducation de la première enfance; soins hygiéniques; exercices corporels. La société des esclaves est à éviter; il faut proscrire toute parole et toute action déshonnêtes devant les enfants; importance des premières impressions. De cinq à sept ans, les enfants doivent assister aux leçons sans y prendre part; il y a deux époques dans l'éducation : de sept ans à la puberté, de la puberté à vingt-et-un an.

Les enfants une fois nés, il faut bien se persuader que la nature de l'alimentation qui leur est donnée a la plus grande influence sur leurs forces corporelles. L'exemple même des animaux, ainsi que l'exemple de toutes les nations qui font un cas particulier des tempéraments propres à la guerre, nous prouve que la nourriture la plus substantielle et qui convient le mieux au corps, est le lait, et qu'il faut s'abstenir de donner du vin aux enfants, à cause des maladies qu'il engendre.

Il importe aussi de savoir jusqu'à quel point il convient de leur laisser la liberté de leurs mouvements; pour éviter que leurs membres si délicats ne se déforment, quelques nations se servent, encore de nos jours, de diverses machines qui assurent à ces petits corps un développement régulier. Il est utile encore, dès la plus tendre enfance, de les habituer à l'impression du froid; et cet usage n'est pas moins utile pour la santé que pour les travaux de la guerre. Aussi, bien des peuples barbares ont-ils la coutume tantôt de plonger leurs enfants dans l'eau froide, tantôt de ne leur donner qu'un vêtement fort léger; et c'est ce que font les Celtes.

Pour toutes les habitudes qu'on peut contracter, il vaut mieux s'y prendre dès l'âge le plus tendre, en ayant soin de procéder par degrés; et la chaleur naturelle des enfants leur fait très aisément affronter le froid. Tels sont à peu près les soins qu'il importe le plus d'avoir pour le premier âge.

Quant à l'âge qui suit celui-là et qui s'étend jusqu'à cinq ans, on ne peut encore en exiger ni une application intellectuelle, ni des fatigues violentes, qui arrêteraient la croissance. Mais on peut lui demander l'activité nécessaire pour éviter une entière paresse de corps. On peut alors provoquer les enfants à l'action par divers moyens, mais surtout par le jeu; et les jeux qu'on leur donne ne doivent être ni indignes d'Hommes libres, ni trop pénibles, ni trop faciles.

Surtout que les magistrats chargés de l'éducation et qu'on nomme pédonomes, veillent avec le plus grand soin aux paroles, aux contes qui viendront frapper ces jeunes oreilles. Tout ici doit être fait pour les préparer aux travaux qui plus tard les attendent. Que leurs jeux soient donc en général les ébauches des exercices auxquels ils se livreront dans un âge plus avancé.

On a grand tort d'ordonner par des lois de comprimer les cris et les pleurs des enfants; c'est au contraire un moyen de développement et une sorte d'exercice pour le corps. On se donne une force nouvelle dans un rude effort en retenant son haleine; et les enfants profitent également de leur contention à crier. Parmi tant d'autres soins, les pédonomes veilleront aussi à ce qu'ils fréquentent le moins possible la société des esclaves; car jusqu'à sept ans, les enfants resteront nécessairement dans la maison paternelle.

Mais malgré cette circonstance, il convient d'épargner à leurs regards et à leurs oreilles tout spectacle, toute parole indignes d'un Homme libre. Le législateur devra sévèrement bannir de sa cité l'indécence des propos, comme il en bannit tout autre vice. Quand on se permet de dire des choses déshonnêtes, on est bien près de se permettre d'en faire; et l'on doit proscrire, dès l'enfance, toute parole et toute action de ce genre. Si quelque Homme de naissance libre, mais trop jeune pour être admis à l'honneur des repas communs, se permet une parole, une action défendues, qu'on le châtie honteusement, qu'on le frappe; et s'il est d'un âge déjà mûr, qu'on le punisse comme un vil esclave, par des châtiments convenables à son âge; car sa faute est celle d'un esclave.

Puisque nous proscrivons les paroles indécentes, nous proscrirons également et les peintures et les représentations obscènes. Que le magistrat veille donc à ce qu'aucune statue, aucun dessin ne rappelle des idées de ce genre, si ce n'est dans les temples à Dieu à qui la loi elle-même permet l'obscénité. Mais la loi prescrit dans un âge plus avancé de ne pas prier Dieu, ni pour soi, ni pour sa femme, ni pour ses enfants.

La loi doit défendre aux jeunes gens d'assister aux farces satyriques et aux comédies, jusqu'à l'âge où ils pourront prendre place aux repas communs et boire le vin pur. Alors l'éducation les aura tous prémunis contre les dangers de ces réunions.
Nous n'avons fait ici qu'effleurer ce sujet; mais nous verrons plus tard, en y insistant davantage, s'il ne faut pas pour la jeunesse bannir absolument tout spectacle; ou bien, en admettant ce principe, comment il faut le modifier. Pour le moment, nous nous sommes bornés aux généralités indispensables.

Théodore, l'acteur tragique, n'avait peut-être pas tort de dire qu'il ne souffrait jamais qu'un comédien, même fort médiocre, parût en scène avant lui, parce que les spectateurs se faisaient aisément à la voix qu'ils entendaient la première. Ceci est également vrai dans nos rapports, et avec nos semblables, et avec les choses qui nous entourent. La nouveauté est toujours ce qui nous charme le plus. Ainsi, qu'on rende étranger à l'enfance tout ce qui porte une mauvaise empreinte; et surtout, qu'on en écarte tout ce qui sent le vice ou la malveillance.

De cinq à sept ans, il faut que les enfants assistent pendant deux années aux leçons qui, plus tard, seront faites pour eux. D'ailleurs, l'éducation comprendra nécessairement deux époques distinctes, depuis sept ans jusqu'à la puberté, et depuis la puberté jusqu'à vingt-et-un an. On se trompe souvent quand on ne veut compter la vie que par périodes septénaires. Il faut bien plutôt suivre pour cette division la marche même de la nature; car les arts et l'éducation ont uniquement pour but d'en combler les lacunes.

Voyons-donc en premier lieu s'il convient que le législateur impose une règle à l'enfance. Nous verrons ensuite s'il vaut mieux que l'éducation soit faite en commun par l'État, ou laissée aux familles, comme dans la plupart des gouvernements actuels; et nous dirons enfin sur quels objets elle doit porter.





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6.2. Politique - Page 3 Empty La Politique, Livre V, Chapitre premier

Message par Kaioh Lun 9 Aoû 2010 - 21:10

Livre V - Chapitre premier



Suite. De l'éducation dans la Cité parfaite; importance capitale de cette question; l'éducation doit être publique; diversité des opinions sur les objets que l'éducation doit comprendre, bien qu'on s'accorde assez généralement sur le but qu'elle doit se proposer.

On ne saurait donc [¹] [²] [³] nier que l'éducation des enfants ne doive être un des objets principaux des soins du législateur. Partout où l'éducation a été négligée, l'État en a reçu une atteinte funeste. C'est que les lois doivent toujours être en rapport avec le principe de la Constitution, et que les mœurs particulières de chaque cité assurent le maintien de l'État, de même qu'elles en ont seules déterminé la forme première. Des mœurs démocratiques conservent la démocratie; oligarchiques, elles conservent l'oligarchie; et plus les mœurs sont pures, plus l'État est affermi.

Toutes les sciences, tous les arts exigent, pour qu'on y réussisse, des notions préalables, des habitudes antérieures. Il en est évidemment de même pour l'exercice de la vertu. Comme l'État tout entier n'a qu'un seul et même but, l'éducation doit être nécessairement une et identique pour tous ses membres; d'où il suit qu'elle doit être un objet de surveillance publique et non particulière, bien que ce dernier système ait généralement prévalu, et qu'aujourd'hui chacun instruise ses enfants chez soi par les méthodes et sur les objets qu'il lui plaît. Cependant, ce qui est commun doit s'apprendre en commun; et c'est une grave erreur de croire que chaque citoyen est maître de lui-même; ils appartiennent tous à l'État, puisqu'ils en sont tous des éléments, et que les soins donnés aux parties doivent concorder avec les soins donnés à l'ensemble.

À cet égard, on ne saurait trop louer les Lacédémoniens. L'éducation de leurs enfants est commune et ils y attachent une importance extrême. Pour nous, il est de toute évidence que la loi doit régler l'éducation et que l'éducation doit être publique. Mais il est essentiel de connaître ce que doit être précisément cette éducation et la méthode qu'il convient d'y suivre. En général, les avis diffèrent aujourd'hui sur les objets qu'elle doit embrasser, et l'on est fort loin de s'entendre unanimement sur ce que les jeunes gens doivent apprendre pour arriver à la vertu et à la vie la meilleure. On ignore même s'il faut s'occuper davantage à former l'intelligence ou à former le cœur.

Le système actuel d'éducation contribue beaucoup à embarrasser la question. On ne sait nullement s'il faut ne diriger l'éducation que vers les choses d'utilité réelle, on bien en faire une école de vertu; ou si elle doit aussi comprendre des objets de pur agrément. Ces différents systèmes ont trouvé des partisans; et il n'y a encore rien de généralement accepté sur les moyens de rendre la jeunesse vertueuse. Mais comme les avis sont fort divers sur l'essence même de la vertu, on ne doit pas s'étonner qu'ils le soient également sur la manière de la mettre en pratique.





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6.2. Politique - Page 3 Empty La Politique, Livre V, Chapitre deuxième

Message par Kaioh Lun 9 Aoû 2010 - 21:16

Livre V - Chapitre deuxième



Suite de la théorie de l'éducation. Des objets de l'éducation; les lettres, la gymnastique, la musique et le dessin; limites dans lesquelles l'étude doit se renfermer pour des Hommes libres. De la place qu'on a jadis assignée à la musique dans l'éducation; elle est un digne emploi du loisir.

Un point incontestable, c'est que l'éducation, parmi les choses utiles, doit comprendre celles qui sont d'une absolue nécessité; mais elle ne doit pas les comprendre toutes sans exception. Toutes les occupations pouvant se distinguer en libérales et en serviles, la jeunesse n'apprendra parmi les choses utiles que celles qui ne tendront point à faire des artisans de ceux qui les pratiquent. On appelle occupations d'artisans toutes les occupations, art ou science, qui sont complètement inutiles pour former le corps, l'âme ou l'esprit d'un Homme libre aux actes et à la pratique de la vertu. On donne aussi le même nom à tous les métiers qui peuvent déformer le corps, et à tous les labeurs dont un salaire est le prix; car ils ôtent à la pensée toute activité et toute élévation.

Bien qu'il n'y ait certainement rien de servile à étudier jusqu'à certain point les sciences libérales, vouloir les pousser trop loin, c'est s'exposer aux inconvénients que nous venons de signaler. La grande différence consiste ici dans l'intention qui détermine le travail ou l'étude. On peut, sans se dégrader, faire pour soi, pour ses amis ou dans une intention vertueuse, telle chose qui faite ainsi n'est point au-dessous d'un Homme libre, mais qui, faite pour des étrangers, sent le mercenaire et l'esclave.
Les objets qu'embrasse l'éducation actuelle, je le répète, présentent en général ce double caractère, et servent peu à éclaircir la question.

Aujourd'hui l'éducation se compose ordinairement de quatre parties distinctes : les lettres, la gymnastique, la musique et parfois le dessin; la première et la dernière, comme d'une utilité aussi positive que variée dans la vie entière; la seconde, comme propre à former le courage. Quant à la musique, on élève des doutes sur son utilité. Ordinairement on la regarde comme un objet de simple agrément; mais les anciens en avaient fait une partie nécessaire de l'éducation, persuadés que la nature elle-même, comme je l'ai dit si souvent, nous demande non pas seulement un louable emploi de notre activité, mais aussi un noble emploi de nos loisirs. La nature, pour le dire encore une fois; la nature est le principe de tout.

Si le travail et le repos sont tous deux nécessaires, le dernier est sans contredit préférable; mais il faut chercher avec grand soin à le remplir comme il convient. Ce ne sera certainement pas par des jeux; car ce serait faire du jeu, chose impossible, le but même de la vie. Le jeu est surtout utile au milieu des travaux. L'Homme qui travaille a besoin de délassement, et le jeu n'a pas d'autre objet que de délasser. Le travail amène toujours la fatigue et la contention de nos facultés. Il faut donc savoir appeler à propos l'emploi des jeux comme un remède salutaire. Le mouvement que le jeu procure détend l'esprit, et le repose par le plaisir qu'il donne.

Le repos aussi semble également nous assurer le plaisir, le bonheur, la félicité; car ce sont là les biens, non pas de ceux qui travaillent, mais de ceux qui vivent dans le loisir. On ne travaille jamais que pour arriver à un but que l'on n'a point encore atteint; et, dans l'opinion de tous les Hommes, le bonheur est précisément le but où l'on se repose, loin de tout souci, dans le sein du plaisir. Le plaisir, il est vrai, n'est point uniforme pour tous; chacun l'imagine à sa guise, et selon son tempérament. Plus l'individu est parfait, plus le bonheur qu'il rêve est pur et plus la source en est élevée. Ainsi, il faut avouer que pour passer dignement son loisir, on a besoin de connaissances et d'une éducation spéciales; et que cette éducation, ces études doivent avoir pour but unique l'individu qui en jouit : de même que les études qui ont l'activité pour objet, doivent être considérées comme des nécessités, et n'avoir jamais en vue les étrangers.

Nos pères n'ont donc point admis la musique dans l'éducation à titre de besoin, car elle n'en est point u ; ils ne l'y ont point admise à titre de chose utile, comme la grammaire, qui est indispensable dans le commerce, dans l'économie domestique, dans l'étude des sciences et dans une foule d'occupations politiques; non point comme le dessin, qui apprend à mieux juger des ouvrages d'art; non point comme la gymnastique, qui donne la santé et la vigueur; car la musique ne possède évidemment aucun de ces avantages. Ils y ont uniquement trouvé un digne emploi du loisir; et voilà le but vers lequel ils ont essayé d'en diriger la pratique. Car si, selon eux, il est un délassement digne d'un Homme libre, c'est la musique. Homère est du même avis, quand il fait dire à l'un de ses héros :
"Convions au festin un chantre harmonieux;
Ou quand il dit de quelques autres de ses personnages, qu'ils appellent :
Le chantre dont la voix saura tous les charmer;
Et ailleurs, Ulysse dit que le plus doux des plaisirs pour les Hommes, quand ils se livrent à la joie,
C'est d'entendre, au festin où tous se sont rangés,
Les accents du poète..."





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Message par Kaioh Lun 9 Aoû 2010 - 21:22

Livre V - Chapitre troisième



Suite de la théorie de l'éducation. De l'utilité de la gymnastique; excès commis à cet égard par quelques gouvernements; il ne faut pas songer à faire des athlètes, ni des guerriers féroces; il faut tâcher de donner au corps, santé et adresse, et à l'esprit un courage généreux; l'expérience de divers peuples suffit pour poser avec certitude les bornes dans lesquelles il convient de renfermer la gymnastique; âge auquel on doit s'y livrer.

Ainsi, l'on doit reconnaître qu'il existe certaines choses qu'il faut enseigner aux enfants, non point comme choses utiles ou nécessaires, mais comme choses dignes d'occuper un Homme libre, comme choses qui sont belles. N'existe-t-il qu'une science de cette sorte? En est-il plusieurs? Quelles sont-elles? Comment doit-on les enseigner? Voilà ce que nous examinerons plus tard. Tout ce que nous prétendons constater ici, c'est que l'opinion des anciens sur les objets essentiels de l'éducation, témoigne en faveur de la nôtre, et qu'ils pensaient absolument de la musique ce que nous en pensons nous-mêmes. Nous ajouterons encore que, si la jeunesse doit acquérir des connaissances utiles, telles que celle de la grammaire, ce n'est pas seulement à cause de l'utilité spéciale de ces connaissances, mais aussi parce qu'elles facilitent l'acquisition d'une foule d'autres.

On en peut dire autant du dessin. On apprend le dessin bien moins pour éviter les erreurs et les mécomptes dans les achats et les ventes de meubles et d'ustensiles, que pour se former une intelligence plus exquise de la beauté des corps. D'ailleurs cette préoccupation exclusive des idées d'utilité ne convient ni aux âmes nobles, ni aux Hommes libres.

On a démontré qu'on doit songer à former les habitudes avant la raison, le corps avant l'esprit; il suit de là qu'il faut soumettre les enfants à l'art du pédotribe et à la gymnastique : à celui-là, pour assurer au corps une bonne Constitution; à celle-ci, pour lui procurer de l'adresse. Dans les gouvernements qui paraissent s'occuper tout particulièrement de l'éducation de la jeunesse, on cherche le plus souvent à former des athlètes; et l'on nuit également à la grâce et à la croissance du corps. Les Spartiates, en évitant cette faute, en commettent une autre; à force d'endurcir les enfants, ils les rendent féroces, sous prétexte de les rendre courageux. Mais, je le répète encore une fois, on ne doit point s'attacher exclusivement à un seul objet, et à celui-là moins qu'à tout autre. Si l'on ne songe qu'à développer le courage, on n'atteint même pas ce but. Le courage, dans les animaux non plus que dans les Hommes, n'appartient pas aux plus sauvages; il appartient, au contraire, à ceux qui réunissent la douceur et la magnanimité du lion [¹] [²].

Quelques peuplades des bords du Pont-Euxin, les Achéens, les Hénioques, ont l'habitude du meurtre et sont anthropophages. D'autres nations, plus avant dans les terres, ont des mœurs pareilles, quelquefois même plus horribles encore; mais ce ne sont que des brigands; ils n'ont pas de véritable courage. Nous voyons les Lacédémoniens eux-mêmes, qui durent d'abord leur supériorité à des habitudes d'exercices et de fatigues, surpassés aujourd'hui par bien d'autres peuples, à la gymnastique et même au combat; c'est que leur supériorité reposait bien moins sur l'éducation de leur jeunesse que sur l'ignorance de leurs adversaires en gymnastique.

Il faut donc mettre au premier rang un courage généreux, et non point la férocité. Braver noblement le danger n'est le partage ni d'un loup, ni d'une bête fauve; c'est le partage exclusif de l'Homme courageux. En donnant trop d'importance à cette partie toute secondaire de l'éducation, et en négligeant les objets indispensables, vous ne faites de vos enfants que de véritables manœuvres; vous n'avez voulu les rendre bons qu'à une seule occupation dans la société, et ils restent, même dans cette spécialité, inférieurs à bien d'autres, comme la raison le dit assez. C'est qu'il faut juger des choses, non sur les faits passés, mais sur les faits actuels; on a aujourd'hui des rivaux aussi instruits qu'on peut l'être soi-même; jadis on n'en avait pas.

On doit donc nous accorder, et que l'emploi de la gymnastique est nécessaire, et que les limites que nous lui posons sont les vraies. Jusqu'à l'adolescence, les exercices doivent être légers; et l'on repoussera une alimentation trop substantielle, et des travaux trop pénibles, de peur d'arrêter la croissance du corps. Le danger de ces fatigues prématurées est prouvé par un grave témoignage : c'est à peine si, dans les fastes d'Olympie, deux ou trois vainqueurs, couronnés dans leur enfance, ont plus tard remporté le prix dans l'âge mûr; les exercices trop violents du premier âge leur avaient enlevé toute leur vigueur.

Trois années, au sortir de l'adolescence, seront donc consacrées à des études d'un autre genre; et alors on pourra, convenablement, soumettre les années qui suivront aux rudes exercices et au régime le plus sévère. Ainsi, l'on évitera de fatiguer à la fois le corps et l'esprit, dont les travaux produisent, dans l'ordre naturel des choses, des effets tout contraires : les travaux du corps nuisent à l'esprit; les travaux de l'esprit sont funestes au corps.





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